Brouillon d’une lettre de Léontine Poutré à Hercule Martin (détail), 16 novembre 1924. Don de Marthe et Patrick McDonald, Fonds Léontine Poutré et Hercule Martin P748, P748/A,1 © Musée McCord

L’esquisse presque centenaire d’une relation

Suivez l’évolution des sentiments amoureux de Léontine Poutré et Hercule Martin grâce aux archives de leur relation épistolaire.

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

9 février 2021

Dans cette série de 12 articles publiés dans le cadre du projet Sensibilités partagées, nous partons à la recherche des émotions, des sensations et des valeurs enfouies dans les documents d’archives, tout en nous interrogeant sur la manière dont le contexte culturel et historique les façonne. Dans cette édition spéciale, notre stagiaire Alexis Curodeau-Codère découvre à l’occasion de la Saint-Valentin le côté caché de la correspondance amoureuse de Léontine Poutré et Hercule Martin.

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Nous sommes en novembre 1924 et Léontine est assise, un soir, à son bureau. Sur un papier posé devant elle, dans le coin supérieur gauche, elle a écrit simplement au crayon de plomb, Monsieur. Elle ajoute quelques lignes, puis hésite et rature ces premiers mots, avant de se reprendre, plus mesurée. La voilà qui répond à la première lettre qu’elle a reçue d’Hercule, ce jeune homme qu’elle a rencontré chez des amis à Chambly, pour l’instant une vague connaissance, mais que pourtant, quelque cent cinquante lettres plus tard, elle épousera.

Image de gauche : Lettre de Léontine Poutré à Hercule Martin, 16 novembre 1924. Don de Marthe et Patrick McDonald, Fonds Léontine Poutré et Hercule Martin P748, P748/A,1 © Musée McCord
Image de droite : Brouillon d’une lettre de Léontine Poutré à Hercule Martin, novembre 1924. Don de Marthe et Patrick McDonald, Fonds Léontine Poutré et Hercule Martin P748, P748/A,1 © Musée McCord

Ce n’est pas ici pure spéculation de ma part, car dans la collection du Musée, parmi la centaine de lettres que Hercule Martin et Léontine Poutré s’échangeront, se trouvent également les brouillons de cette dernière. Et si la lecture d’une correspondance est en soi intéressante, c’est lorsqu’on compare les lettres et leurs brouillons qu’on découvre non pas seulement ce que l’auteur des lettres a dit, mais également ce qu’il voulait taire. Avec leurs ratures, leurs taches et leurs déchirures, les brouillons témoignent du laborieux processus d’écriture. On imagine Léontine relire une fois de plus le morceau de papier ou de carton faisant office de brouillon, avant de saisir sa plume et son plus beau papier à lettres pour retranscrire sa pensée judicieusement formulée.

Brouillon d’une lettre de Léontine Poutré à Hercule Martin, novembre 1924. Don de Marthe et Patrick McDonald, Fonds Léontine Poutré et Hercule Martin P748, P748/A,1 © Musée McCord

Au tout début de leur correspondance, les brouillons de Léontine sont aussi raturés et hésitants que ses lettres sont impeccables. Mais au fil de sa relation épistolaire avec Hercule, à mesure que les saisons s’égrènent, un changement s’opère. Alors que le Monsieur est remplacé par Mon cher ami, les mots de Léontine se font plus assurés, le tracé de ses lettres, plus rapide et compact. Ses brouillons, saisis au dos de factures ou sur de vieilles enveloppes, deviennent plus confiants. Les traits de plomb sont plus vifs et affirmés. Un peu comme leur relation qui prend racine. On sent alors que la Léontine des brouillons apparaît de plus en plus franchement dans les lettres.

Pour ce qui est d’Hercule, le Musée ne possède aucun de ses brouillons. Les aurait-il jetés ou n’en a-t-il jamais rédigé? La dernière option est fort possible. Sa calligraphie est certes élégante, mais dès la première lettre, on sent une nonchalance qui n’ira qu’en s’accentuant au fil du temps. Avec la familiarité qui s’installe, ses mots deviennent pattes de mouches, ses lignes se mettent à onduler et ses missives commencent maintenant par Grande amie, …

Lettre d’Hercule Martin à Léontine Poutré, 9 décembre 1925. Don de Marthe et Patrick McDonald, Fonds Léontine Poutré et Hercule Martin P748, P748/A,14 © Musée McCord

De lettre en lettre, Hercule et Léontine se rapprochent; ils apprennent à se connaître. Si l’un est dans un appartement de la rue Berri à Montréal et l’autre chez ses parents, à Chambly, leur correspondance témoigne de leur complicité grandissante. Le 28 décembre 1925, Léontine écrit : Oh! Que j’ai donc pensé à vous la nuit passée, et toute la journée… Et plus loin, en toute sincérité elle avoue, d’une calligraphie déliée, dénudée de fioritures : Je voudrais vous écrire une lettre très brillante, très gaie. Vous écrire tout ce que je pense… Puis on l’imagine écrire, presque en soupirant : Ce rêve d’avenir me semble si beau… Ce rêve d’avenir, c’est leur union.

Vingt-neuf jours plus tard à Montréal, Léontine et Hercule se marieront, après s’être écrit chaque semaine pendant plus d’un an.

Portrait de Joseph Hercule Martin et Léontine Poutré, Boulevard Persillier, Montréal, 1949. Don de Marthe et Patrick McDonald, M2012.58.2.9 © Musée McCord

La correspondance complète de Léontine Poutré et Hercule Martin est disponible ici.
Bonne lecture!

À propos de l'auteur

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.
Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.