Michel Campeau : Exposition et collection se rencontrent in situ
Autobiographie, héritage de la photographie argentique et instantané : les multiples lectures de l’exposition Michel Campeau – Avant le numérique.
L’exposition Michel Campeau – Avant le numérique est riche des multiples lectures qu’elle propose. De façon explicite, elle invite le visiteur à réfléchir à l’héritage esthétique de la photographie argentique, s’attardant sur le travail en chambre noire, à travers huit séries photographiques de l’artiste Michel Campeau.
En filigrane de ce propos sur une pratique révolue se tisse une deuxième lecture, celle de l’autobiographie de l’artiste dont le ton est donné par la première œuvre de l’exposition. Dans un même cadre, deux photographies de Campeau sont réunies : l’une du photographe lui-même examinant des diapositives à sa table lumineuse, et l’autre du petit garçon qu’il a été jouant avec sa collection de figurines. Le tout est intitulé L’enfance me court après.
Ainsi, dans toute l’exposition, à travers la représentation d’artefacts et la reproduction de photographies trouvées, se glissent des références à sa famille, à ses outils de photographe, à sa bibliothèque, aux photographes qui l’ont influencé et à ses aspirations affectives réinventées dans les clichés personnels du photographe amateur Rudolph Edse qui font maintenant partie de sa collection1.
En troisième lieu, un propos sur la photographie amateur se manifeste dans les nombreuses photographies trouvées que l’artiste fait siennes et qu’il expose comme s’il s’agissait de ses propres prises de vue. Cette autre lecture fait écho à la collection de photographies du Musée McCord. Dans les années 1970, sous la direction du conservateur Stanley Triggs, le Musée McCord commence à collectionner des photographies vernaculaires, c’est-à-dire des images sans aucune prétention artistique, réalisées par des amateurs aujourd’hui anonymes sur toutes sortes de sujets en rapport avec la vie quotidienne. Ces photographies composent notamment les albums de famille remplis d’instantanés produits après la révolution Kodak (1888). Ce type de vues en quantité innombrable, généralement banales et a fortiori ennuyeuses, trouve difficilement sa place dans l’histoire de l’art photographique.
Depuis la fin des années 1990, des musées influents, comme le San Francisco Museum of Modern Art et le Metropolitan Museum of Art de New York2, ont exposé des collections d’instantanés, montrant comment ces images anonymes présentent parfois et de façon fortuite des qualités comparables aux œuvres de photographes reconnus. La critique souligne que cette approche tend à reproduire le modèle hagiographique de l’histoire de l’art et qu’elle met en évidence la vision du commissaire ou du collectionneur plutôt que celle du photographe3.
L’exposition Avant le numérique ne se présente pas comme une tentative de légitimer la valeur artistique des instantanés. Il s’agit d’une œuvre composite de Michel Campeau qui vient interroger la pertinence de collectionner ce type de photographies longtemps invisibles dans l’histoire du médium. Le lieu même où se tient cette exposition participe de cette autre lecture possible.
Le contexte du Musée McCord permet de confronter deux visions de l’instantané. D’une part, celle du Musée articulée par le conservateur soucieux de prendre en compte toutes les formes photographiques susceptibles de témoigner de la vie d’une société, et d’autre part, celle de l’artiste qui trouve dans l’abondance des photographies anonymes un terreau pour exprimer sa sensibilité et sa créativité. Par le biais d’une exposition, le Musée passe le relais à l’artiste, faisant ainsi entendre un propos subjectif et authentique sur un champ de sa collection. Le McCord invite le visiteur à considérer le sens que prennent ces images anonymes dans la démarche créatrice d’un artiste.
NOTES
1. Voir l’ouvrage publié à l’occasion de l’exposition : Michel Campeau, Rudolph Edse: Une autobiographie involontaire/An Unintentional Autobiography – Rudolph Edse, Montréal, Musée McCord; Paris, Les éditions Loco, 2017.
2. Snapshots: The Photography of Everyday Life, 1888 to the Present, San Francisco Museum of Modern Art, 1998; Other Pictures: Anonymous photographs from the Thomas Walther Collection, Metropolitan Museum of Art, 2000.
3. Parmi les nombreuses critiques, voir Geoffrey Batchen, « Snapshots: Art history and the ethnographic turn », Photographies, 2008, vol. 1, n ° 2, 121–142; Sarah Greenough et Diane Waggoner, The Art of the American Snapshot, 1888–1978: From the Collection of Robert E. Jackson, Washington, National Gallery of Art, 2007.