Facture de Benson & Hedges à John Wilson McConnell (détail), 30 janvier 1923. Don de Peter M. Laing, Fonds John Wilson McConnell P607, M2003.8.1.1.2 © Musée McCord

Mémoire d’archives

Découvrez les réalités et les défis propres au travail d’archiviste, essentiel à la préservation de la mémoire collective.

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

7 juin 2021

Archiver quelque chose. Nous allons archiver votre dossier. C’est amusant comme, dans l’esprit de tous les jours, archiver c’est un peu comme tabletter, retirer à notre regard. Soudain, la chose est dépassée, ne concerne plus le présent et est susceptible d’être oubliée. Or, les archives, bien loin d’être un endroit où les documents sombrent dans l’oubli, constituent plutôt une mémoire. L’archivage, c’est le moment où une collection de souvenirs éclectique est organisée pour permettre la reconstitution de notre histoire.

Extrait du spicilège de Nona Molson (détail),1915-1922. Don de Martha E. McKenna, Fonds Nona Molson P723, M2008.129.1 © Musée McCord

En prévision de la Journée internationale des archives, je me suis entretenu avec Philippe-Olivier Boulay-Scott, archiviste qui a travaillé sur plusieurs fonds d’archives du Musée McCord. C’était vraiment une chance de pouvoir travailler dans le milieu historique, m’avoue-t-il en souriant. Mon premier gros mandat au Musée a été de travailler sur le fonds de la famille Drummond. C’est un fonds familial alors c’est plein de défis particuliers. Par exemple, les documents sont produits par un grand nombre de personnes. Bien représenter ça, c’est très complexe parce que ça fait beaucoup d’informations à vérifier.

Carte postale de Guy Melfort Drummond I à Grace Julia Parker, 17 avril 1915. Don de Patrick Stoker, Fonds de la famille Drummond P015, P015/F4.2 © Musée McCord

LE TRAVAIL DE L'ARCHIVISTE

Un archiviste, ça préserve, diffuse et fait vivre les documents, me dit Philippe-Olivier. C’est à la fois préserver les documents, pour garantir leur intégrité physique, les documenter et parfois les numériser. Ça varie donc entre travaux répétitifs et manuels et travail intellectuel.

Il ne s’agit pas non plus pour lui d’archiver de tout ce qui lui tombe sous la main. Surtout avec les archives de tous les jours, comme les factures, les listes d’épicerie ou les documents administratifs, il y a tellement de choses qu’il faut choisir ce qui mérite d’être gardé et ce qui peut être oublié.

Facture de Benson & Hedges à John Wilson McConnell, 30 janvier 1923. Don de Peter M. Laing, Fonds John Wilson McConnell P607, M2003.8.1.1.2 © Musée McCord

Philippe-Olivier m’explique qu’il est important de travailler contre les biais qui pourraient accentuer la marginalisation de personnes dans nos archives. Je sais que le Musée se consacre de plus en plus au rayonnement d’une histoire sociale qui est plus inclusive et ça me fait très plaisir.

UNE AVALANCHE D'INFORMATIONS, LE RÔLE DE LA NUMÉRISATION

Dans la contemporanéité, le problème c’est qu’il y a tellement de documents que ça devient difficile de s’y retrouver, me confie-t-il. Il est pour l’instant impossible, compte tenu de l’explosion de la quantité d’informations en cette ère du numérique, de numériser l’entièreté des archives. Par ailleurs, croire que tout peut être trouvé en ligne est dangereux, car cela peut donner l’impression que ce qui n’y est pas n’existe pas. Or, m’indique Philippe-Olivier, seulement 2 % des collections de BAnQ sont en ligne. La numérisation représente donc plutôt une vitrine où sont mis en valeur certains documents exemplaires. Une archive, ça se doit d’être vivant, me dit-il en riant.

UNE JOURNÉE INTERNATIONALE POUR LES ARCHIVES

Une journée pour les archives c’est vraiment une occasion de faire connaître aux gens ce qu’on fait, pourquoi on le fait et comment ils peuvent participer, indique Philippe-Olivier. Les archives sont importantes, mais mal comprises, regrette l’archiviste. Quand tu prends des notes sur l’entrevue en ce moment, tu crées un document d’archives. Les archives, c’est de l’information sur un support. Alors c’est vraiment large. Même une pierre tombale est une archive! Autrement dit, l’archiviste œuvre à la préservation de l’information produite par un humain, qu’elle soit écrite ou audiovisuelle, sur un support analogique ou numérique.

Malheureusement, ajoute Philippe-Olivier, les ressources dédiées aux archives sont dérisoires. Beaucoup de centres d’archives, en région par exemple, ont un budget insuffisant. Or, c’est grâce aux archives que s’écrira l’histoire de demain.

Ce qu’on garde, c’est ce qui va déterminer ce que les historiens vont pouvoir étudier dans le futur.

Comment voulons-nous que notre histoire soit racontée pour les prochaines générations ou plutôt, qui aura le privilège d’y être représenté et qui sera absent?

Dernières volontés exprimées par Louis Riel au Révérend Père Alexis André, 16 novembre 1885. Don de Brian McGreevy, M20193 © Musée McCord

À cet égard, plusieurs archives communautaires ont été fondées au Québec, comme les Archives gaies du Québec, mais de nombreuses facettes de nos sociétés et de nos histoires risquent encore d’être oubliées. La virtualisation croissante de nos interactions sociales pose un grand défi aux archivistes : qu’on pense à toute l’information que l’on confie à nos appareils informatiques, de nos publications sur Facebook aux vidéos sur YouTube et aux blogues, en passant par les gazouillis de personnalités publiques. C’est du contenu qui disparaît souvent aussi rapidement qu’il est produit. Il y a plein de choses, des sous-cultures entières qui sont présentes sur Internet et qui sont à la merci de grands conglomérats, qui existent presque à l’extérieur des lois et sur lesquelles on n’a presque pas de droit de regard, s’inquiète Philippe-Olivier.

Le travail de l’archiviste est un travail de mémoire jamais achevé et toujours renouvelé, et chaque centre d’archives, que ce soit BAnQ, le McCord ou un lieu plus modeste, est le gardien de notre mémoire collective, garant de l’écho futur de nos rires, de nos inquiétudes, de nos communications sociales ou administratives, bref de nos vies. Partout au Québec, des milliers d’archivistes comme Philippe-Olivier œuvrent à la culture de notre mémoire pour que le plus grand nombre puisse affirmer avec justesse Je me souviens.

À propos de l'auteur

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.
Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.