En quête d’espace pour une collection grandissante
Qu’est-ce qu’un temple grec, un champ de tir, un champion de la coupe Stanley et Harry Houdini ont en commun?
30 août 2021
Qu’est-ce qu’un temple grec, un champ de tir, un champion de la coupe Stanley et Harry Houdini ont en commun? Ils ont tous un lien quelconque avec les bâtiments qui ont abrité les collections du Musée McCord au fil des ans.
UN TEMPLE GREC SUR LA MONTAGNE : LA PREMIÈRE MAISON DE LA COLLECTION DU MUSÉE MCCORD
En 1838, l’avocat montréalais John Samuel McCord (1801-1865) fit construire une résidence d’été sur le flanc du mont Royal, surplombant la ville. Appelé Temple Grove, ce bâtiment particulier aux imposantes colonnes doriques sur trois côtés était situé juste au sud de l’actuelle intersection du chemin de la Côte-des-Neiges et de l’avenue Cedar.
Selon son fils, David Ross McCord (1844-1930), John Samuel avait expliqué son choix du style architectural en ces mots : « J’ai regardé le site que j’avais choisi pour ma maison de campagne – et sa position dominante – et je me suis dit : les Grecs y auraient construit un temple, alors c’est ce que je vais faire1 ». La famille McCord s’y est installée en permanence en 1844.
Avocat de formation, David Ross McCord vouait une véritable passion pour le passé. Vers 1880, il s’était mis à collectionner des objets en lien avec l’histoire du Canada et, avec le temps, sa collection avait commencé à empiéter sur l’espace de vie de Temple Grove.
En 1914, un journaliste écrivait que la résidence de McCord était remplie à craquer de reliques du passé :
« Temple Grove est loin d’être une petite maison, mais on y trouve pratiquement jusqu’au plafond des centaines de souvenirs sur lesquels les autorités du British Museum rêveraient de mettre la main. »
Chaque pièce du rez-de-chaussée étant pleine d’objets, « … la famille a dû s’installer dans les appartements à l’étage. Or, même ceux-ci sont envahis par les reliques, et la famille, obligée de battre en retraite, se retrouvera vraisemblablement bientôt sur le toit, tellement la collection prend rapidement de l’ampleur2 ». À cette époque, David Ross McCord était activement à la recherche d’une institution qui serait prête à abriter sa collection, qu’il avait déjà appelée « The McCord National Museum ».
DILCOOSHA : LA « DOUCEUR POUR L’ÂME » DE JESSE JOSEPH
David Ross McCord a fait don de sa collection à l’Université McGill en 1919 et, au début de 1921, les objets ont été transférés de Temple Grove à la maison Joseph située près de l’intersection des rues Sherbrooke et McTavish, là où se trouve aujourd’hui la bibliothèque McLennan.
Le 13 octobre de cette année, le Musée fut ouvert au grand public pour la première fois. La maison avait été construite en 1865 pour l’homme d’affaires montréalais Jesse Joseph (1817-1904), qui l’avait baptisée Dilcoosha, ce qui signifie « douceur pour l’âme » en hindoustani.
Durant la Première Guerre mondiale, Dilcoosha avait servi de quartier général au contingent McGill du Corps-école d’officiers canadiens (COTC). En 1913, peu de temps après la formation du corps-école, le lieutenant-colonel honoraire Jeffrey Burland avait fait du bâtiment un manège militaire, allant même jusqu’à y faire installer un champ de tir miniature! Situé au grenier, celui-ci avait une longueur d’environ 30 verges (27,4 mètres)3. En 1954, témoin de cette ancienne vocation du bâtiment, le mur sud-est du grenier était encore « criblé de balles de plomb », et on pouvait voir les marques des balles qui avaient ricoché au plafond4.
Au début, les nombreuses pièces, l’immense grenier et la chambre forte au sous-sol de Dilcoosha étaient suffisamment spacieux pour accueillir les quelque 10 000 objets de la collection. Cependant, les dons étaient nombreux, et la collection du Musée ne tarda pas à devenir une fois de plus trop volumineuse pour ses locaux!
En 1932, la maison Joseph ne répondait plus aux besoins du Musée. Malheureusement, les problèmes financiers entraînés par la Grande Dépression n’ont pas arrangé les choses pour le Musée, que McGill fermera au public au début de 1936. En 1954, une importante fissure dans le mur ouest du bâtiment, qui s’étendait du toit à la fondation, s’était élargie au point où les autorités de McGill ont dû condamner Dilcoosha à la démolition.
LA MAISON A. A. HODGSON, RÉSIDENCE D’UN CHAMPION DE LA COUPE STANLEY
Le Musée McCord s’est installé dans la maison Hodgson en novembre 1954. Archibald Arthur Hodgson (1869-1960) était un homme d’affaires montréalais qui avait donné sa maison de la rue Drummond (à l’angle de l’actuelle avenue du Docteur-Penfield) à McGill.
Dans sa jeunesse, Hodgson s’était fait connaître grâce à son talent pour les sports, notamment la crosse, le football et le hockey avec l’Association des athlètes amateurs de Montréal. Un « joueur avant exceptionnel » avec un « tir aussi puissant qu’une balle », il a fait partie de la première équipe ayant remporté le trophée de la coupe Stanley, en 18935.
Déménager les collections dans la maison Hodgson était nécessaire en raison de la démolition imminente de Dilcoosha, mais l’espace suffisait à peine. Selon Isabel Dobell (1909-1998), embauchée en 1955 pour faire l’inventaire de la collection6, chaque coin de la demeure « … était rempli d’artefacts du McCord, plusieurs toujours dans les cartons et les caisses dans lesquels on les avait transportés. Même les placards dans les chambres et les pièces utilitaires étaient pleins à craquer, et dans plusieurs salles de bain, les baignoires avaient été recouvertes de contreplaqué pour en faire du rangement ». Des cartes géographiques et des tableaux encadrés avaient été entreposés au grenier, ce qui, selon Dobell « … était loin d’être optimal puisque les températures se rapprochaient du point de congélation en hiver et grimpaient à plus de 33 °C durant la saison chaude7 ». Dans un document interne, un membre du personnel anonyme a décrit le grenier comme « un lieu affreux à moins d’être une chauve-souris!8 ».
LE MCGILL STUDENT UNION BUILDING : LA MAISON DU MUSÉE MCCORD DEPUIS PLUS DE 50 ANS
Dans la maison Hodgson, il était possible de faire de la recherche sur rendez-vous, et une salle constituée d’une pièce, créée en 1960, présentait de petites expositions temporaires d’objets du Musée. Au milieu des années 1960, le McCord a eu accès à un espace plus vaste. Prévoyant remplacer le Student Union Building (le pavillon de l’association étudiante de McGill) par un nouveau Centre universitaire construit sur la rue McTavish, McGill était en mesure de libérer le vieux bâtiment situé au 690, rue Sherbrooke Ouest pour que le Musée puisse s’y installer.
Plusieurs générations d’étudiants avaient franchi les portes du bâtiment de l’association étudiante construit en 1906. La salle de bal du troisième étage avait accueilli bien des événements au fil du temps. Lors d’une occasion mémorable, en octobre 1926, le célèbre illusionniste Harry Houdini s’était adressé aux étudiants de McGill au sujet du spiritualisme frauduleux9.
En 1968, les collections sont entrées dans le bâtiment nouvellement rénové. Pour la première fois, il y avait suffisamment de place pour les centaines de milliers de photographies et de négatifs des Archives photographiques Notman. En raison du manque d’espace à la maison Hodgson, ceux-ci avaient été entreposés séparément dans le sous-sol de la bibliothèque Redpath depuis leur acquisition en 1956.
Ouvert une fois de plus au public en 1971, le Musée McCord s’est buté de nouveau à un problème d’espace en 1988. Une fois les collections transportées dans des locaux temporaires à l’autre extrémité de la ville, le 690, rue Sherbrooke fut entièrement rénové pour la deuxième fois. Rendu plus vaste grâce à des travaux d’agrandissement à l’arrière, il a rouvert ses portes en 1992, juste à temps pour le 350e anniversaire de Montréal.
Aujourd’hui, près de 30 ans plus tard, les collections du Musée McCord, enrichies grâce aux fusions avec le Musée Stewart (2013) et le Musée de la mode (2017), remplissent à ras bord leurs espaces d’entreposage. Le Musée planifie la construction d’un nouveau bâtiment muséal à l’arrière de l’édifice actuel, qui s’étendra du côté ouest dans la rue Victoria10. Le Musée McCord-Stewart pourra ainsi continuer à célébrer le passé de Montréal – résolument tourné vers l’avenir!
NOTES
1. Papiers de la famille McCord (PFMC), dossier 2065, 15 août 1916.
2. C. Lintern Sibley, « An Archipelago of Memories », Maclean’s Magazine, mars 1914, p. 7.
3. The Gazette, Montréal, samedi 11 octobre 1913, p. 10.
4. Alice Johannsen Turnham, « The Passing of a Landmark », The McGill News, automne 1954, p. 3.
5. The Gazette, Montréal, jeudi 24 novembre 1960, p. 39; D. A. L. MacDonald, « Turning Back Hockey’s Pages », The Gazette, Montréal, jeudi 17 janvier 1935, p. 14. Hodgson et ses coéquipiers ont réussi à défendre leur titre l’année suivante, remportant la première série de championnat de la coupe Stanley en 1894.
6. Isabel Dobell devint plus tard la directrice du Musée McCord. Voir Kathryn Greenaway, « Isabel Dobell will be remembered for contribution to local history », The Gazette, Montréal, mardi 28 avril 1998, p. 13.
7. Isabel Dobell, « Buried Treasure », dans Margaret Gillett (dir.), A Fair Shake, p. 140.
8. Rapport hebdomadaire du Musée McCord, 20-27 mai 1957, Reliure rouge, Dossiers institutionnels du McCord.
9. The Gazette, Montréal, mercredi 20 octobre 1926, p. 7.
10. Voir https://www.musee-mccord-stewart.ca/fr/nouveau-musee-montreal-centre-ville/