Entre le vide et le plein
Ludovic Boney nous parle de son œuvre Parure de traite, présentée dans l’exposition Voix autochtones d’aujourd’hui.
27 octobre 2021
Un grand disque d’aluminium poli, suspendu entre sol et plafond par des sangles aux couleurs vives. En l’observant de plus près, je remarque plusieurs pointes de métal assemblées à l’aide de pièces de bois et de sangles, sans soudure ni vis, simplement serrées ensemble. Le grand prisme circulaire est percé de trous en forme de losanges qui laissent passer la lumière et découvrir le vide à l’intérieur de l’œuvre. Étonnant équilibre entre le caractère massif de la sculpture et sa frappante fragilité.
Cette œuvre à la fois imposante et aérienne, intimidante et délicate c’est Parure de traite, le fruit du travail de Ludovic Boney, artiste huron-wendat qui a été invité par le Musée pour y installer une œuvre dans le cadre de la nouvelle exposition permanente Voix autochtones d’aujourd’hui : savoir, trauma, résilience.
Après avoir étudié à la Maison des métiers d’arts de Québec, Ludovic Boney fonde, avec quatre autres artistes, un atelier dans le quartier Limoilou, à Québec. Plusieurs contrats d’art public lui permettront d’établir rapidement son style et sa réputation.
Assis à une table sur la rue Victoria, Ludovic me parle de son œuvre et de sa démarche. Il porte un t-shirt et un bermuda. Son regard est sincère et pénétrant.
J’ai fait plus d’art public que d’expos. Ce qui est l’inverse de la plupart des artistes. Ça m’a toujours intéressé de faire des œuvres monumentales et dans l’espace public pour les gens de tous les jours. Créer des surprises.
Moi je crée vraiment des formes. Ce qu’il recherche, m’explique-t-il, c’est le défi technique, mais surtout de faire vivre une expérience esthésique à l’observateur. En d’autres mots, l’œuvre se raconte à travers les sens. La vue, l’ouïe et le toucher, quand c’est possible. Quand je lui parle de l’impression que m’a laissée son œuvre, il hoche la tête avec un petit sourire. J’ai découvert l’œuvre comme on découvre un paysage. Lorsqu’on observe un panorama, on se laisse envahir en même temps par la sensation que nous procure sa beauté et par le vertige que l’on éprouve devant son immensité. C’est ça une expérience esthésique : le délice des sens et la découverte d’un paysage intérieur faisant écho à celui du dehors.
Même si son œuvre évoque résolument une parure de traite par sa forme, et que les sangles de serrage rappellent les franges colorées des vêtements traditionnels, c’est une histoire de sensation plus que de signification, me dit-il.
Par un assemblage de matières résiduelles provenant de projets antérieurs en apparence incompatibles, l’œuvre fait écho aux médaillons et aux broches en argent offerts par la couronne britannique aux alliés autochtones. Portées notamment par les chefs hurons-wendat, ces parures représentent de forts symboles culturels.
Je regarde ses mains posées à plat sur la table – des mains de sculpteur. Massives, larges, calleuses, mais capables tout autant de maîtriser l’acier que de le traiter avec délicatesse.
Je repense ensuite à Parure de traite qui se dresse majestueusement, suspendue au cœur de l’exposition. Quelques kilos de bois, de métal et de sangles de tissu synthétique façonnés dans un atelier par ses mains et assemblés au Musée McCord. Tout cela pour évoquer subtilement pour l’observateur fasciné une mise en relation entre une pratique culturelle et artistique ancienne et l’art contemporain. C’est la découverte surprenante d’un équilibre dynamique entre le tiède et le froid, le vide et le plein, mais aussi entre le banal et le symbolique, le contemporain et le traditionnel.