Deux femmes extraordinaires au Musée McCord
Mary Dudley Muir et Dorothy Warren, deux femmes qui ont contribué à l’établissement du Musée et à son développement durant ses premières décennies.
2 mars 2022
Dévouement, rigueur, minutie; créativité, innovation et audace. Ces qualités reflètent certaines des valeurs fondamentales des membres du personnel du Musée McCord et s’appliquent à nombre des remarquables collègues et bénévoles que j’ai le privilège de côtoyer quotidiennement dans le cadre de mon travail.
Elles décrivent également très bien deux employées qui ont contribué à l’établissement du Musée et à son développement durant les premières décennies de son existence à l’Université McGill. Si ces femmes extraordinaires portaient toutes deux le titre de conservatrice adjointe, elles assumaient au sein de la jeune institution des responsabilités et des rôles distincts qui dépassaient de loin ce qu’on pourrait exiger aujourd’hui de n’importe quel membre de l’équipe du Musée McCord!
Mary Dudley Muir : conservatrice adjointe et chargée de projet…
En 1920, David Ross McCord, le fondateur du Musée McCord, dit de son adjointe Mary Dudley Muir (1860-1936) qu’elle était « l’un des atouts les plus précieux de l’Université ». Celle-ci avait déjà travaillé comme secrétaire de l’Art Association of Montreal et s’était impliquée activement dans plusieurs associations culturelles au fil des ans1. Comme David Ross McCord l’écrivait en 1920 à Sir Arthur Currie, recteur de l’Université McGill, non seulement Mlle Muir était-elle éduquée, avec des manières distinguées, mais elle était aussi la « femme toute désignée pour aider à mettre ce musée sur pied et tout à fait apte à prendre ma place lorsque je serai parti ». McCord avait une totale confiance en elle : « Je n’ai pas et n’aurai jamais l’ombre d’un doute – remettez-lui simplement les clés. »2
Lors de son embauche en 1919, l’une des premières tâches confiées à Mary Muir était de concrétiser la vision qu’avait David Ross McCord de son musée national. Plus précisément, il fallait voir à ce que les objets, avec leurs cartels rédigés avec soin, soient placés selon l’ordre géographique, thématique ou temporel prévu par McCord, et convenablement exposés dans des vitrines, des armoires ou sur les murs des différentes pièces de la maison Joseph, qui abritait alors le Musée. En ce sens, elle fut la chargée de projet des espaces d’exposition inaugurés à l’Université McGill.
La tâche ne semblait pas aisée, si l’on en juge d’après les notes sur l’organisation du Musée, gribouillées par D. R. McCord de son écriture particulière et parfois illisible. La correspondance au sujet de la fondation du Musée illustre à quel point McCord était méticuleux et exigeant concernant la façon dont ses objets devaient être encadrés, exposés et entreposés. Mary Muir se devait certainement d’être une personne rigoureuse, dévouée et très patiente!
Cependant, travailler au McCord donnait à Mlle Muir l’occasion de voyager et de parfaire ses connaissances auprès d’autres institutions. En décembre 1920, on pouvait lire dans The Gazette qu’en plus de diriger la production des cartels accompagnant les objets, « Mlle Muir se trouve actuellement à New York, et elle ira dans plusieurs autres grandes villes des États-Unis afin de rencontrer les directeurs et les conservateurs de collections muséales similaires à celle de David McCord ».
Lorsque le Musée a ouvert ses portes au public en 1921, Mary Muir s’est établie dans une routine remplie de tâches administratives lui laissant peu de répit. En 1922, elle ne relevait plus de David Ross McCord, mais du Comité du Musée McCord, qui assumait le rôle de conservateur3.
Toutefois, le Comité n’avait peut-être pas envers Mlle Muir une confiance aussi absolue que David Ross McCord. En 1924, le Comité sentit le besoin de rédiger un document décrivant dans les moindres détails les différentes fonctions attendues d’une conservatrice adjointe, incluant la préparation de dons ou d’achats potentiels aux fins d’approbation par le Comité, une tâche où il fallait obtenir « les renseignements disponibles les plus exacts possible concernant le type, la source et l’authenticité du matériel offert au Comité en vue d’être accepté ou acheté ». Après une réunion du Comité, Mlle Muir devait « accuser réception de tous les dons rapidement », et retourner le matériel refusé. Il lui fallait également disposer les nouveaux objets dans les espaces d’exposition, ou les « entreposer convenablement »4.
…et technicienne en fournitures de bureau?
Le Comité exigeait en outre de Mary Muir qu’elle veille à ce qu’il y ait suffisamment de fournitures de bureau dans l’armoire à papeterie, assez pour « éviter le renouvellement fréquent des commandes postales », mais « pas plus que nécessaire pour l’année en cours du Musée ». Le moindre achat devait être approuvé, mais Mlle Muir semble avoir accepté sa multitude de tâches et son pouvoir limité sans se plaindre.
Au moins, Mary Muir jouissait d’une certaine autonomie. Le Comité lui permettait d’« accompagner au besoin les distingués visiteurs, chercheurs et étudiants à travers les salles du Musée ». Cependant, elle ne « devait pas consacrer plus de temps que nécessaire à cette activité ». On peut présumer que le Comité craignait que cela ne la détourne de l’« enregistrement » des nouvelles acquisitions, une tâche, avait-il noté, « devant être considérée comme son occupation la plus importante ». Le Comité lui demandait en outre de l’informer de toute offre d’assistance qu’elle recevait pour l’identification ou le classement des objets.
Lorsque Mary Dudley Muir est tombée malade en mai 1928, elle fut remplacée temporairement par Dorothy Warren. Celle-ci fut nommée conservatrice adjointe par McGill lorsque Mlle Muir prit officiellement sa retraite en janvier 1930.
Dorothy Warren : conservatrice adjointe (également activement impliquée dans les expositions, la promotion, les communications et l’éducation)
Avant d’entrer au Musée, Dorothy Perram Warren (1882-1957) avait vécu en Italie et en France pendant de nombreuses années avec son mari, l’artiste Frank Chickering Warren.
Les premières archives institutionnelles du McCord nous permettent de déduire que la personnalité et les aptitudes de Dorothy Warren répondaient bien aux besoins du Musée à cette époque. Tout indique que c’était une personne audacieuse, dynamique et créative avec beaucoup d’idées novatrices sur la façon de promouvoir le Musée McCord auprès du public. À l’été 1928, tout juste après qu’elle eut été nommée conservatrice adjointe par intérim, le Musée enregistrait une hausse du nombre de ses visiteurs. Le Comité en prit note, remerciant Mme Warren de ses efforts en vue « d’attirer sur le Musée l’attention des clients d’hôtel en visite à Montréal »5. En novembre, le Comité l’autorisait à faire imprimer une affiche du Musée pour les hôtels, les pavillons de McGill et autres lieux.
Attirer les foules avec des expositions temporaires
Le nombre d’expositions temporaires a également augmenté après l’arrivée de Dorothy Warren. Mary Dudley Muir avait participé à l’organisation de quelques expositions spéciales, notamment celle de 1926 présentant des objets achetés de la famille de Harry Hewitt Baines, et une autre sur James Wolfe en 1927. Exceptionnellement, ces deux expositions avaient accueilli le public les dimanches après-midi, attirant des foules de visiteurs habituellement dans l’impossibilité de venir au Musée durant ses heures d’ouverture normales, c’est-à-dire en après-midi durant la semaine. Ces expositions avaient établi un précédent, reflétant une demande à laquelle Mme Warren désirait répondre.
À compter de mars 1929, le Musée McCord a ouvert ses portes le dimanche avec une série d’expositions spéciales, en rotation chaque semaine. Tout un choix s’offrait aux visiteurs, allant de présentations thématiques d’objets domestiques datant du régime français à des collections de paniers d’Amérique du Nord et du Sud. Des bénévoles de la History Association of Montreal guidaient le public dans les salles du Musée. La popularité de ces événements spéciaux du dimanche (dont le record est de 654 personnes en deux heures)6 a incité le Comité à modifier les heures d’ouverture du Musée de façon permanente.
Comme dans le cas de Mary Dudley Muir, le Comité considérait que l’« aspect le plus important et pressant » du travail de Dorothy Warren était l’enregistrement des acquisitions7. Elle s’y est acquittée avec énergie, gérant l’acquisition d’environ 3 000 objets par année entre 1928 et 19318.
Dorothy Warren avait à cœur de faire connaître l’histoire et de promouvoir les collections du Musée. Pour ce faire, elle utilisait différents moyens de communication à sa disposition, que ce soit en parlant à la radio de l’importance de conserver les documents historiques, ou en participant à des causeries devant des groupes communautaires locaux. Elle a même corédigé un court article portant sur une série de lettres écrites par le médecin et juge Adam Mabane qui fut publié dans le rapport de la Canadian Historical Association en 19309.
Mme Warren faisait également preuve de diligence en ce qui a trait à la conservation des objets sous sa garde, informant par exemple le Comité en 1930 que les lettres et les documents du général Wolfe devaient être « rangés dans des tiroirs durant les mois d’été » et montrés uniquement sur demande afin de les protéger de la lumière vive en ce temps de l’année. Quelques années plus tard, elle proposait d’installer un rideau spécial pour empêcher les documents de pâlir.
Nul doute que le projet le plus ambitieux de Dorothy Warren au McCord, réalisé avec l’aide de son assistante Isabel Craig, diplômée en histoire de McGill, fut d’organiser une série d’expositions chronologiques illustrant les grandes périodes de l’histoire canadienne pour des groupes d’écoliers. Ces expositions étaient planifiées de façon à coïncider avec le curriculum enseigné dans les écoles locales.
Dorothy et Isabel préparaient les expositions et effectuaient la plupart des visites guidées, offrant aux visiteurs un bref exposé historique. Toutes deux étant anglophones, elles ont pris des dispositions pour qu’une visite soit également offerte en français les jeudis à 15 h. L’idée d’organiser des expositions expressément dans le but d’éduquer les écoliers ne venait pas nécessairement de Mme Warren, mais elle a de toute évidence réussi à donner vie au projet avec beaucoup de succès.
En 1936, la fermeture du Musée en raison des difficultés financières de McGill durant la dépression a obligé Dorothy Warren à quitter son poste. Mais ce ne fut pas la fin de sa carrière, loin de là. Selon des articles de journaux, elle aurait ensuite travaillé comme bibliothécaire pendant quelques années. En 1942, elle a participé à l’organisation d’une exposition spéciale d’objets canadiens à la Bibliothèque des jeunes de Montréal, utilisant des artefacts historiques empruntés au Musée McCord. Bien entendu, ayant travaillé comme conservatrice adjointe au Musée pendant huit ans, trouver exactement les objets qu’elle désirait présenter fut pour elle un jeu d’enfant!
NOTES
- « Miss M. D. Muir Dies », The Gazette, Montréal, 2 novembre 1936, p. 7.
- David Ross McCord à Sir Arthur Currie, recteur de l’Université McGill, 9 août 1920.
- L’acte de don initial à McGill stipulait que David Ross McCord conserverait son titre officiel de conservateur de son vivant. Toutefois, dans sa vieillesse, McCord a souffert d’artériosclérose et de démence vasculaire, ce qui a engendré chez lui des troubles mentaux. Interné au Protestant Hospital for the Insane en 1922 et plus tard transféré à l’Homewood Sanitarium à Guelph, en Ontario, McCord n’était plus apte à participer aux activités quotidiennes du Musée.
- Tâches de la conservatrice adjointe, procès-verbal du Comité du Musée McCord, décembre 1924.
- Procès-verbal du Comité, 4 octobre 1928.
- Le 23 mai 1929, The Gazette mentionnait que le dimanche précédent, un nombre record de personnes (654) avaient visité le Musée durant ses deux heures d’ouverture.
- Compte rendu de la réunion du Sous-comité administratif du McCord National Museum, 5 novembre 1928.
- En comparaison, un total de 5 916 objets avaient été acquis durant les sept ans précédant l’arrivée de Dorothy Warren. Rapport du McCord National Museum, 1er sept. 1930 – 1er sept. 1931, P001, dossier 7627.
- E. Fabre Surveyer, MSRC et Dorothy Warren, « Some letters of Mabane to Riedesel (1781-1783) », Report of the Annual Meeting, Canadian Historical Association, vol. 9, no 1, 1930, p 81-82.