Le partage d’autorité dans les musées

Le partage d’autorité dans les musées était une journée d’étude organisée par l’Université de Montréal et le Musée McCord Stewart le 20 janvier 2023, avec le soutien du Conseil de recherches en sciences humaines et la Chaire de recherche du Canada en muséologie citoyenne. L’événement était présenté par le Partenariat Des nouveaux usages des collections dans les musées d’art, un projet instauré par le CIÉCO, un groupe de recherche et de réflexion qui réunit des universitaires du Canada et de l’Europe avec des professionnel·le·s de six institutions partenaires afin de participer à des conférences, des journées d’étude, des ateliers et des publications.

L’événement s’inscrivait dans le deuxième axe de recherche du groupe – La collection engagée – qui explore la façon dont les interventions citoyennes et un mouvement en faveur d’une plus grande inclusion transforment les pratiques muséales. Dans une série de présentations et de panels ayant fait salle comble, les participant·e·s ont analysé le concept de l’autorité et ses manifestations dans les structures organisationnelles, les initiatives en programmation et l’encadrement de la conservation.

Après le mot de bienvenue de Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et président du conseil d’administration du Musée McCord Stewart, Johanne Lamoureux, Chaire de recherche du Canada en muséologie citoyenne, a prononcé le mot d’ouverture et rendu hommage à Elisabeth Kaine (1955-2022), dont le travail exceptionnel pour promouvoir la décolonisation et l’établissement de relations respectueuses avec les nations autochtones continue aujourd’hui d’avoir une profonde influence.

Jonathan Lainey, conservateur, Cultures autochtones au Musée McCord Stewart et Mélissa Mollen Dupuis, cinéaste innue et militante pour les droits des Autochtones, ont inauguré l’événement avec un dialogue sur le rôle des comités consultatifs autochtones dans les musées. À travers le prisme de leurs expériences au Musée McCord Stewart, Lainey et Mollen Dupuis ont discuté de la différence entre consultation et prise de décision active et mis l’accent sur le contrat social au cœur d’un travail collaboratif.

Durant cette journée qui allait offrir plus de questions que de réponses, Lainey et Mollen Dupuis ont mis de l’avant l’importance des relations positives et insisté sur la distinction entre participation et pouvoir. Comment le fait d’avancer au rythme de la confiance peut-il entraîner de meilleurs résultats? Comment nos interactions quotidiennes peuvent-elles façonner l’avenir des fonctions muséales?

S’en est suivie une série de présentations par Catherine Charlebois, cheffe de section et conservatrice en chef, MEM – Centre des mémoires montréalaises; Mélanie Deveault, directrice, Éducation et mieux-être, Musée des beaux-arts de Montréal; et Olivier Grant, chef de section, Animation et mouvement citoyen, Espace pour la vie – Jardin botanique.

Engagés dans une discussion entre eux et avec le public ayant pour thème Repenser les cadres référentiels : vers une indisciplinarité des musées animée par Johanne Lamoureux, les participant·e·s ont partagé de vastes réflexions sur la cocréation et la consultation publique, soulignant que les publics abordent les mandats institutionnels d’un large éventail d’expériences et de points de vue.

Comment s’assurer d’inclure les positions des différentes parties prenantes dès le début d’un projet plutôt que de simplement en tenir compte dans le cadre de programmes éducatifs ou de sensibilisation? À qui les musées doivent-ils rendre des comptes et quelles sont les autorités qui les gouvernent? Comment les équipes de direction des musées peuvent-elles justifier le temps nécessaire pour s’engager réellement auprès des publics que desservent leurs institutions?

Après le dîner, Marie Fraser, Chaire de recherche en études et pratiques curatoriales, UQAM, a présenté les panélistes qui allaient traiter du sujet Curation et médiation : le partage d’autorité avec les communautés et les publics des musées. Taïna Mueth, cofondatrice et directrice de création de Je suis Montréal et Clara Chouinard, chargée de projet, Action éducative, citoyenne et culturelle au Musée McCord Stewart, ont présenté un projet collaboratif qui, en plus d’inviter les communautés à contribuer au travail du Musée, explore les liens entre la documentation, la légitimation et les hiérarchies de la connaissance au sein de la pratique muséale.

Je suis Montréal privilégie l’idée de l’appartenance plutôt que de l’inclusion, et son travail soulève une importante question, à savoir comment les musées peuvent-ils mettre en œuvre une éthique des soins dans leurs relations avec le public. Comment pouvons-nous commencer à bâtir la confiance de communautés qui ont de tout temps été exclues du discours muséal? Comment, de nos jours, l’autorité des musées est-elle perçue par le public? En quoi la création artistique participe-t-elle au pouvoir de convaincre?

À la suite de cette présentation, Laura Delfino, candidate au doctorat et responsable des programmes éducatifs, Recherche, innovation et médiation numérique au Musée des beaux-arts de Montréal, a partagé une partie du fruit de sa recherche, qui aborde entre autres la question problématique de l’appartenance dans un contexte muséal.

Analysant ce qu’elle appelle l’approche « irénique » ou conciliatoire traditionnellement adoptée par les musées dans leur tentative de cocréation, elle se penche sur le comment et le pourquoi de la dilution par les grandes institutions des propositions et des efforts radicaux pour la création d’espaces favorisant une interaction égalitaire axée sur l’humain. Pour alimenter davantage ce dialogue sur la confiance, Éric Giroux a donné des exemples de cocréation de programmes et d’expositions à l’Écomusée du fier monde, où il occupe le poste de directeur de la recherche et des collections.

Le dernier panel de l’après-midi, Le partage d’autorité au sein des musées, a été présenté par Yves Bergeron, Chaire de recherche sur la gouvernance des musées et le droit de la culture, UQAM. Les panélistes étaient Eve-Lyne Cayouette-Ashby, cheffe de division, Programmes publics et éducation, Espace pour la vie – Biosphère; Armando Perla, conservateur indépendant, universitaire et militant; et Pascale Grignon, directrice principale, Marketing, culture et inclusion, Musée McCord Stewart.

Les panélistes ont demandé comment nous pourrions commencer à aborder les déséquilibres du pouvoir, la distribution inéquitable des ressources, et cette aversion pour le risque endémique au sein des institutions qui sont au service de leurs conseils d’administration plutôt qu’à celui des communautés et des individus. Se fondant sur ses expériences en tant que titulaire de postes importants qu’il a occupés dans diverses institutions canadiennes au cours des deux dernières années, Perla a souligné la violence vécue par les personnes de groupes marginalisés lorsqu’elles deviennent le visage public des institutions, démontrant le degré de surveillance et d’hypervisibilité dont sont l’objet, notamment, les personnes queer et racisées. Il a dévoilé les nombreux mécanismes par lesquels une violence systémique est infligée à ceux et celles qui sont embauchés pour « transformer » les institutions, et qui doivent néanmoins y parvenir sans ressources ni soutien adéquats.

Dans une émouvante conclusion au programme de la journée, l’artiste interdisciplinaire Stanley Février a offert une performance et une méditation sur ses interactions avec les musées. Créant un espace d’inconfort créatif et demandant aux spectatrices et aux spectateurs de faire face à leurs propres préjugés, Février a avancé que toute véritable redistribution de l’autorité nécessite une renonciation de position et de privilège, une volonté d’accorder et de perdre de la crédibilité, et un partage de la prise de risque.

Journée d’étude et de discussion, Le partage d’autorité dans les musées a donné à des professionnel·le·s de différentes institutions l’occasion d’engager une conversation sur des questions touchant des préoccupations et des intérêts communs. Avec plus de 200 participant·e·s en ligne et en présentiel, l’événement a offert une plateforme pour mettre de l’avant les pratiques efficaces et souligner les défis actuels de la démocratisation et de la décolonisation des musées.

Si les collections muséales et la valeur que leur accordent différentes parties prenantes ont servi de point de départ pour l’organisation de cette journée d’étude, la dynamique relationnelle complexe qui accompagne un engagement honnête envers les histoires dont les musées prennent soin est apparue comme la principale préoccupation des participant·e·s. Le CIÉCO continuera d’organiser des événements sur ce sujet et est fier de s’associer à des institutions comme le Musée McCord Stewart pour explorer ce que signifie aujourd’hui le partage des collections.