Photographe inconnu, Fred Ranger, Maurice Baribeau et Clovis Baribeau à Trafalgar Square, 1945. Don de la famille Maurice Baribeau, Fonds Maurice Baribeau P796, M2017.113.2, Musée McCord Stewart

Correspondances de guerre : l’indispensable lien

Découvrez comment la correspondance a joué un rôle vital pour l'aviateur Maurice Baribeau et sa famille.

Anouk Palvadeau, archiviste junior, Musée McCord Stewart

9 novembre 2023

Dans cette série de 12 articles publiés dans le cadre du projet Sensibilités partagées, nous partons à la recherche des émotions, des sensations et des valeurs enfouies dans les documents d’archives, tout en nous interrogeant sur la manière dont le contexte culturel et historique les façonne.

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Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage en Europe, les destructions engendrées par les bombardements entravent considérablement les voies de communication. Cependant, le service postal est organisé de façon efficace et les soldats sur le terrain peuvent envoyer et recevoir du courrier. Les prisonniers de guerre, d’après la Convention de Genève, sont quant à eux aussi autorisés à correspondre avec leurs proches et à recevoir des colis de la Croix-Rouge canadienne.

Dès lors, ces correspondances deviennent vitales pour les familles et les soldats qui vivent cette période trouble dans une inquiétude permanente. Elles jouent par conséquent un rôle essentiel en nous aidant à comprendre le conflit tel qu’il fut vécu de l’intérieur, en permettant de mettre des mots sur ce que ressentaient les soldats et en témoignant de ce lien irremplaçable qui les unissait à leur famille, malgré la distance.

Composé de nombreuses lettres, écrites entre le 18 septembre 1944 et le 4 juillet 1945, le Fonds Maurice Baribeau (P796) offre un accès privilégié à la vie quotidienne des prisonniers de guerre et de leurs proches. Entre récits ordinaires et franchise des sentiments, ces correspondances recèlent d’instants anodins et d’émotions fortes.

Photographe inconnu, Fred Ranger, Maurice Baribeau et Clovis Baribeau à Trafalgar Square, 1945. Don de Richard Baribeau, Fonds Maurice Baribeau P796, M2017.113.2, Musée McCord Stewart

Le 14 septembre 1944, Maurice Baribeau, pilote de l’air originaire de la région de Gatineau, est en opération militaire à bord de son bombardier. Il est accompagné de Charles Hugh Taylor, son copilote au sein de l’Aviation royale canadienne. Lors de cette attaque contre un convoi de navires ennemis, leur avion est touché et prend feu près des côtes norvégiennes. Obligés d’amerrir, Maurice et Charles se perdent de vue. Seul Maurice Baribeau s’en sortira vivant. Il tombe cependant aux mains de l’armée allemande quelques heures plus tard. C’est ainsi que s’amorce un voyage vers l’Allemagne nazie et une incarcération de neuf mois en camp de prisonniers de guerre militaire. Déplacé d’un camp à l’autre, son sort demeure inconnu pour ses proches au Canada pendant de longues semaines.

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Sa première lettre écrite en tant qu’homme libre, Maurice l’adresse à sa mère, Lucia Lacroix Baribeau, le 21 mai 1945. Après la libération de son camp de prisonniers par les forces alliées, Maurice séjourne dans un camp de récupération de la Croix-Rouge américaine avant de partir pour l’Angleterre. Un sentiment de soulagement, mais néanmoins teinté de solitude et d’inquiétude, se dégage dès les premières lignes : « Enfin je peux t’adresser quelques mots! Je ne sais pas si tu as reçu mes lettres lorsque j’étais avec les Allemands mais moi je suis sans nouvelles de vous tous depuis septembre dernier. »

Après plus de neuf mois sans nouvelles, il n’est pas étonnant que le lien préservé par la correspondance apparaisse comme un thème central dans les lettres de Maurice, tout comme dans celles de ses proches. En effet, Lucia Lacroix Baribeau n’a de cesse de répéter son besoin d’être rassurée sur l’état et la situation de son fils : « Enfin tu es donc rapatrié. Tu peux imaginer notre joie; j’attends de tes nouvelles, j’ai hâte de recevoir une lettre […] as-tu reçu un paquet et nos lettres, nous avons écrit souvent […] »

La nervosité et l’impatience vécues par les correspondants dans l’attente de plus amples informations sont clairement exprimées par Maurice au début de sa lettre : « […] j’enverrai un télégramme auquel vous répondrez immédiatement j’espère. » Quant à Lucia Lacroix Baribeau, elle clôt la sienne par « Bien bonjour et nous attendons ta lettre avec anxiété. »

Ce sentiment de fébrilité et d’impatience quant au courrier est également partagé par Josias Jorgensen, la personne ayant recueilli Maurice après son accident d’avion en Norvège. Celui-ci a été témoin de sa capture par l’armée allemande, sans pouvoir s’interposer. Maurice lui ayant laissé l’adresse de sa mère en espérant certainement qu’il lui écrive pour la rassurer et lui annoncer que son fils était vivant après son arrestation, Josias n’a cependant écrit une première lettre que fin mai 1945, après la capitulation des Allemands. Il lui est alors essentiel de s’enquérir du sort de Maurice : « C’était d’une importance capitale pour moi de savoir qu’il avait survécu à sa capture. »

Lettre de Josias Jorgensen à Lucia Lacroix Baribeau, 24 août 1945. Don de la famille Maurice Baribeau, Fonds Maurice Baribeau P796, M2017.113.1.4, Musée McCord Stewart

Au fil de sa lettre, il devient clair que pour Josias, cette rencontre a profondément marqué sa vie. Il termine d’ailleurs sa correspondance en implorant : « Je vous supplie de demander à votre fils de m’écrire lorsqu’il en aura l’occasion. » Cet évènement capital, à la fois pour Maurice et pour Josias, a créé un lien indéfectible entre ces deux étrangers malgré des conditions peu propices.

Les correspondances sont parfois porteuses de bonnes comme de mauvaises nouvelles. Si les précédentes lettres révèlent un soulagement et une réjouissance indéniables, celle de Doris Taylor témoigne du chagrin et de la difficulté à faire face à une cruelle réalité. C’est seulement en novembre 1945 que l’épouse du copilote de Maurice trouve le courage de lui répondre, après la confirmation du décès de son mari par le seul témoin de son accident : Maurice lui-même. « J’ai commencé à vous écrire plusieurs fois, mais je ne savais pas vraiment quoi dire »

Malgré les circonstances, une grande reconnaissance se dégage de sa lettre : « Je veux vous remercier pour votre lettre, je l’apprécie vraiment, vous avez répondu à bien des questions pour lesquelles je cherchais des réponses. » C’était pour elle une façon de pouvoir avancer, n’ayant plus aucun doute sur le sort de son mari.

 

Ces extraits de quelques lettres dévoilant l’intimité de quatre personnes dont la vie a été bousculée par la guerre sont chargés d’histoire. Les sentiments se révèlent profondément dans toutes ces correspondances, tout comme un besoin primordial de contact, de communication et d’échange. Se pencher sur ces écrits nous permet donc de lire l’intime au travers de ces lettres, où chacune à sa manière exprime avec délicatesse un tourbillon d’émotions.

À propos de l'autrice

Anouk Palvadeau, archiviste junior, Musée McCord Stewart

Anouk Palvadeau, archiviste junior, Musée McCord Stewart

Diplômée en études anglaises, journalisme et archivistique, Anouk met à profit ses différentes habiletés au sein du Musée et apporte son soutien dans le cadre de projets de traitement et de diffusion d’archives. Elle s’intéresse notamment au point de vue des femmes dans les documents d’archives et à leurs récits à travers le temps.
Diplômée en études anglaises, journalisme et archivistique, Anouk met à profit ses différentes habiletés au sein du Musée et apporte son soutien dans le cadre de projets de traitement et de diffusion d’archives. Elle s’intéresse notamment au point de vue des femmes dans les documents d’archives et à leurs récits à travers le temps.