Anna Lois Dawson Harrington, Collines du Bic depuis la troisième petite île, juillet 1911 (détail). Don d’Anne Virginia Byers, M982.579.127, Musée McCord Stewart

Anna Lois Dawson Harrington : quarante ans de paysages

C’est en tant qu’artiste que l’on se souvient d’elle, alors que durant sa vie, l’exercice de l’aquarelle était un simple passe-temps.

Hélène Samson, Ph. D., conservatrice associée, Photographie, Musée McCord Stewart

26 avril 2024

Le Musée conserve plus de 200 aquarelles d’Anna Lois Dawson Harrington (1851-1917) données en grande partie par sa petite-fille, Anne Virginia Winslow-Spragge, épouse de Donald N. Byers. C’est donc en tant qu’artiste que l’on se souvient d’elle, alors que durant sa vie, l’exercice du dessin et de l’aquarelle était une occupation du domaine privé, un passe-temps faisant partie des habiletés que toute jeune fille bien éduquée devait tenter de maîtriser, avec plus ou moins de bonheur.

William Notman, Mlle Anna Lois Dawson, Montréal, Québec, 1871. I-61215.1, Musée McCord Stewart

Anna Lois avait toutefois un réel talent et un amour pour le dessin. Dans sa jeunesse, elle a illustré les travaux scientifiques de son célèbre père, Sir John William Dawson (1820-1899), géologue, paléontologue et recteur de l’Université McGill de 1855 à 1893, de même que ceux de son frère, George Mercer Dawson (1849-1901), spécialiste de la géologie du Canada.

Au cours des étés passés à Petit-Métis (aujourd’hui Métis-sur-Mer), situé aux portes de la Gaspésie, elle peignait des paysages du littoral et des boisés environnants aussi souvent que sa famille nombreuse le lui permettait1.

À LA RECHERCHE D'ANNA LOIS

Anna Lois était la fille de Sir John William Dawson, l’épouse du professeur Bernard James Harrington et la mère de neuf enfants, mais, au-delà de ces définitions génériques, qui était-elle? Les aquarelles d’Anna Lois ainsi que les lettres adressées à son mari depuis Petit-Métis en disent beaucoup sur sa personnalité2. À regarder ses œuvres, on comprend à quel point cette femme aimait contempler la nature. Il y a très peu de figures humaines dans ses paysages, seulement l’esquisse de quelques enfants ici et là – motif qu’elle ne maîtrisait pas très bien d’ailleurs.

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Elle aimait s’isoler afin de concentrer son regard sur les détails du paysage, en particulier la texture des rochers sur la grève. Elle affectionnait surtout les grands arbres qui s’élèvent vers le ciel comme des cathédrales. Loren Lerner a relevé dans la correspondance d’Anna Lois des passages qui révèlent son sens de l’observation :

« Encore et encore dans ses lettres, dans un langage romantique qui dévoile sa vision du lieu, elle voit les “nuages teintés” (1875), les “petites spirales des fougères qui émergent” (1880), les “champs dorés de l’automne qui ne cessent de me fasciner” (1882), et les “montagnes de cumulus dont les reflets et les ombres se projettent sur l’eau” (1885)3. »

Dans l’intimité de sa correspondance, on découvre une femme affectueuse, attachée à sa communauté, sans être le moindrement mondaine. Une femme pour qui la foi, la lecture des grands textes, à commencer par la Bible, la rationalité et l’éducation étaient des valeurs fondamentales. Malgré les épreuves, les soucis constants et les difficultés financières qui l’accablaient4, elle a toujours gardé sa force de caractère et sa détermination empreinte d’optimisme.

Wm. Notman & Son, Anna Lois Dawson Harrington, Montréal, Québec, 1892. Don d'Anne Virginia Byers, N-1979.35.1.155, Musée McCord Stewart

Elle aurait probablement bien aimé mener des recherches en sciences de la nature et être libre à l’instar de son père, de son frère et de son mari, comme en témoignent ces mots du 18 juillet 1881 :

Après la pluie torrentielle de samedi, je suis descendue sur la grève dans la quiétude du soir. J’ai tellement aimé ce moment, la marée à son plus haut, et la lueur du coucher du soleil à l’ouest – j’aimerais pouvoir m’isoler plus souvent, je me sens toujours beaucoup mieux après, les petites insignifiances qui encroûtent si souvent notre vie se dissolvent et les meilleures pensées peuvent remonter à la surface, et les yeux entrevoient la terre qui est au loin – et le royaume de Dieu qui, bien que si proche, est souvent invisible pour nous. La chose que j’envie le plus du statut d’un homme, c’est son pouvoir de sortir de la maison faite de main d’homme, pour entrer dans le temple vivant de la nature, quand bon lui semble, nuit et jour5.

Le fait qu’elle n’ait pas mené une carrière scientifique ou artistique, comme elle en avait le goût et le potentiel, n’a pas altéré son aspiration au dépassement de soi dans les rôles qui lui étaient assignés.

QUARANTE ANS DE PAYSAGES

À Noël 1875, son fiancé, Bernard James Harrington, qui deviendra un éminent professeur de minéralogie à l’Université McGill, lui offre un chevalet, dont on sait aujourd’hui qu’elle fera bon usage, même si à l’époque elle en doutait :

Très cher Bernard,

Merci beaucoup, beaucoup pour le beau chevalet, j’espère seulement pouvoir peindre un jour un tableau assez bon pour être digne d’y être posé. Mais même si je n’y arrive pas, le chevalet sera toujours pour moi un gage de votre gentille attention6.

Ce cadeau de Bernard n’était pas sans rapport avec les leçons de dessins qu’Anna Lois avait prises au cours des années 1860 dans des établissements voués à l’éducation des jeunes filles7.

Plus tard, en 1880, elle écrira qu’elle serait heureuse de pouvoir rapporter chaque année à Montréal au moins quatre aquarelles dignes d’orner les murs de son salon8. Au regard de sa lourde charge domestique et éducative, la constance de l’expression artistique chez Anna Lois est remarquable et admirable. Si Métis-sur-Mer est le sujet principal de son œuvre, la région de Charlevoix n’est pas en reste. On lui connaît une série d’aquarelles peintes dans cette belle région dès 1869, où la présence des Autochtones avait retenu son attention.

Mais, c’est lors de son passage à Cap-à-l’Aigle en 1913 qu’elle exécutera les délicates aquarelles qui témoignent le mieux de son talent et de l’évolution de son style. De même, des voyages qu’elle aura l’occasion de faire dans les dernières décennies de sa vie, elle rapportera des paysages d’Écosse et de France qui sont un pur ravissement. Montréal, peu représentée dans son œuvre, a donné lieu à une exquise vue du mont Royal aux couleurs d’automne.

LITTLE MÉTIS

Tel était le nom de Métis-sur-Mer au 19e siècle. Ce lieu de villégiature anglophone doit beaucoup à Sir John William Dawson, spécialiste de fossiles et de coquillages recueillis sur les rives gaspésiennes du fleuve Saint-Laurent. Ayant fait de ce village une retraite estivale pour sa famille dans les années 1860, il y a entraîné avec lui plusieurs professeurs de l’Université McGill et, dans la foulée, de riches industriels de Montréal, bailleurs de fonds de l’institution, comme les Molson, Reford et Redpath, entre autres. Vers la fin du siècle, on ne dénombre pas moins de 11 hôtels pour accueillir les touristes qui arrivent par train ou par bateau.

De nos jours, les maisons et les jardins qui bordent le front de mer, de même que les célèbres jardins d’Elsie Reford (créés en 1926), à l’embouchure de la rivière Mitis, rappellent cet âge d’or et contribuent au charme suranné de l’endroit.

Anna Lois a commencé à fréquenter Métis-sur-Mer à l’adolescence. À partir de 1876, elle habitait Birkenshaw, la maison de ses parents, où elle et son mari sont restés avec leurs enfants jusqu’en 1883, lorsque le couple s’est installé dans le petit cottage voisin. Ces deux maisons typiques de Métis-sur-Mer sont encore habitées par les membres de la famille Dawson Harrington.

Photographe inconnu, La résidence Harrington, Métis-sur-Mer, Québec, 1942. Don de Mme Anson C. McKim, M2003.36.9.117, Musée McCord Stewart

Leurs abords immédiats ont beaucoup d’attraits, notamment le parfum inoubliable des rosiers rugosa mêlé aux effluves salins du fleuve. Un microclimat favorise l’exubérance des jardins de fleurs. La grève est accessible et sans cesse renouvelée par les marées. L’immensité de la vue, les couchers de soleil et la prégnance de la nature sauvage sont propices aux émotions et à la contemplation. Anna Lois a beaucoup peint ce paysage, mais également l’arrière-pays de Baie-des-Sables, les nombreuses chutes de la région et les îles du Bic. Ce bord de mer était le lieu préféré d’Anna Lois, là où sa famille a grandi et où elle a rendu l’âme en 1917.

UNE DESTINATION QUI VAUT LE VOYAGE

Si le site Web du Musée permet de regarder à volonté les aquarelles d’Anna Lois, une exposition aux Jardins de Métis (The Reford Gardens) donne l’occasion de les voir tout en découvrant l’histoire et la personnalité de l’artiste. En assurant le commissariat de cette exposition intitulée La lumière et la brume, j’ai retrouvé chez Anna Lois la mémoire effacée de tant de femmes, héroïnes du quotidien, agentes de la transmission culturelle. Admirative de cette œuvre, qui a été réalisée en marge de la vie domestique, j’ai voulu la camper dans un contexte artistique intemporel. Dans cet esprit, des photographies actuelles d’Ewa Monika Zebrowski inspirées des lieux mêmes qui ont imprégné la vie d’Anna Lois côtoient les aquarelles du 19e siècle.

REMERCIEMENT

Le Musée tient à remercier Héritage Bas-Saint-Laurent pour sa contribution financière qui a permis la numérisation des aquarelles d’Anna Lois Harrington.

Notes

  1. Entre 1877 et 1893, Anna Lois a eu neuf enfants, dont les deux premiers sont morts très jeunes. Si Edith est décédée rapidement d’une pneumonie à l’âge de 11 ans, Eric a survécu à d’obscurs malaises précoces apparentés à la tuberculose jusqu’à 17 ans. À une époque où la mortalité infantile était élevée, Anna Lois s’est sans cesse souciée de la santé de ses enfants. Voir Annmarie Adams et Peter Gossage, « Health Matters: The Dawson and Harrington Families at Home », Fontanus, vol.12, 2010.
  2. Bernard J. Harrington était souvent absent de Petit-Métis durant les étés, et ce, dès les premières années de son mariage. Des recherches scientifiques et la préparation de ses cours à l’Université McGill l’amenaient à voyager au Canada, en Europe et aux États-Unis, où il avait obtenu un diplôme de l’Université Yale. Lois Sybil Winslow-Spragge a transcrit et commenté les lettres envoyées par sa mère à son père de 1876 à 1907 dans « Early Life at McGill Told by a Professor’s Wife » (1970), Fonds Dawson-Harrington, Archives Université McGill, CA MUA MG 1022-5-001.
  3. Loren Lerner, « Anna Dawson Harrington’s Landscape Drawings and Letters: Interweaving the Visual and Textual Spaces of an Autobiography », Material Culture Review / Revue de la culture matérielle, vol. 86, 2017, p.70.
  4. Le salaire de Bernard J. Harrington ne suffisait pas aux besoins pécuniaires de sa famille, de sorte que leur condition matérielle dépendait des parents d’Anna Lois. Voir Annmarie Adams et Peter Gossage, « Health Matters », et Lois Sybil Winslow-Spragge, « Early Life ».
  5. Lettre d’Anna Lois Dawson Harrington à Bernard J. Harrington, Little Metis, 18 juillet 1881, Fonds Dawson-Harrington, Archives Université McGill, CA MUA MG 1022-5-017-0006.
  6. Lettre d’Anna Lois Dawson à Bernard J. Harrington, décembre 1875, Fonds Dawson-Harrington, Archives Université McGill, CA MUA MG 1022-5-011-0007.
  7. Loren Lerner, « Anna Dawson Harrington’s Landscape Drawings », p. 68.
  8. Lettre d’Anna Lois Dawson Harrington à Bernard J. Harrington, 29 juin 1880, Fonds Dawson-Harrington, Archives Université McGill, CA MUA MG 1022-5-016-0009

À propos de l'autrice

Hélène Samson, Ph. D., conservatrice associée, Photographie, Musée McCord Stewart

Hélène Samson, Ph. D., conservatrice associée, Photographie, Musée McCord Stewart

Hélène partage ses recherches entre la photographie du 19e siècle et la documentation contemporaine de la société montréalaise. Sa formation en psychologie et en histoire de l’art nourrit son intérêt particulier pour le portrait photographique comme forme d’expression de l’identité narrative.
Hélène partage ses recherches entre la photographie du 19e siècle et la documentation contemporaine de la société montréalaise. Sa formation en psychologie et en histoire de l’art nourrit son intérêt particulier pour le portrait photographique comme forme d’expression de l’identité narrative.