En connexion avec les jeunes
L'atelier La mode, le corps et la société, créé avec Fusion Jeunesse, fait entrer la collection Costume, mode et textiles dans les écoles.
27 mai 2024
Mikaela, 17 ans, s’inquiète de la vitesse à laquelle les médias sociaux font tourner le monde. Lorsque les choses vont trop vite, on n’a pas beaucoup d’occasions de « faire l’histoire », dit-elle avec un aplomb qu’on lui envie. « Je ne me souviens même plus de ce qui était à la mode il y a deux ans. »
Il se trouve qu’elle n’est pas la seule à avoir du mal à suivre le fil de l’histoire.
« Le temps est-il différent aujourd’hui avec Internet? », demande Alexis Walker, conservatrice adjointe, Costume, mode et textiles, sur Zoom. « Lors d’un événement auquel j’assistais, quelqu’un parlait de mode historique, mais il s’agissait de styles des années 2000. »
Cette conscience de soi au sein d’une ligne de temps historique est ce qu’on appelle la distance temporelle. Avec La mode, le corps et la société, le nouvel atelier créé par le Musée McCord Stewart en collaboration avec le programme de Design de mode de Fusion Jeunesse, des élèves du secondaire provenant de différents quartiers de Montréal ont la chance de redécouvrir leurs propres lignes de temps avec la collection Costume, mode et textiles du Musée en toile de fond.
FUSION JEUNESSE
Il y a maintenant 15 ans que Fusion Jeunesse – un organisme sans but lucratif dont les programmes d’apprentissage expérientiel visent à tisser des liens entre les jeunes du système scolaire et l’ensemble de la communauté – a été créé.
L’organisme a connu une croissance exponentielle, plus d’une quinzaine de programmes étant maintenant offerts chaque semaine à des élèves du Canada, de la France et du Sénégal. La gestionnaire de programme Elena Byk, une vétérane de Fusion Jeunesse qui a commencé à y travailler en 2012 à titre de coordonnatrice de cours, a été témoin de cette évolution dans les défis que les élèves doivent surmonter. « Au début, nous leur demandions simplement de faire des croquis, dit-elle. Puis, il leur fallait faire trois ensembles. Et ensuite cinq. »
Aujourd’hui, le cours de Design de mode est un programme en neuf étapes qui permet aux jeunes créatrices et créateurs de suivre un parcours complet dans le domaine de la mode. Les élèves acquièrent toutes les notions de base, apprenant à trouver l’inspiration, à transposer leurs idées dans des croquis et à créer des prototypes, pour finalement présenter une collection devant un public.
« Il s’agit en fait de les emmener à apprendre autrement; faire un ourlet ou réaliser un patron devient un prétexte pour faire des maths », d’ajouter Byk. « Les élèves développent des compétences transversales, apprennent à collaborer, à s’exprimer et à se faire confiance. »
Au fil des ans, les différents ponts qui relient l’organisation au milieu professionnel ont aussi été consolidés, notamment celui qui mène au Musée McCord Stewart. Ce lien a d’abord été créé lorsqu’un groupe d’élèves a visité l’exposition Jean-Claude Poitras – Mode et inspirations, et s’est plus tard solidifié lorsque Nicola Pelly, cofondatrice de Parachute, la marque de mode montréalaise qui a fait l’objet de l’exposition Parachute : mode subversive des années 80 en 2021, a participé à un atelier virtuel avec les jeunes.
Commissaire des deux expositions, la conservatrice Alexis Walker – également mentor pour Fusion Jeunesse – se souvient également de ce moment comme d’un tournant dans le dialogue entre le Musée et les publics contemporains. « Il y a eu une remise en question », avoue-t-elle. « Les jeunes veulent parler d’appropriation culturelle, d’environnement et d’exploitation humaine. Ils s’intéressent aux enjeux qui entourent la mode. C’est pour moi très inspirant. »
Lorsqu’on lui demande quelle est la position du Musée par rapport à cette conversation et à son engagement envers les jeunes, Walker mentionne que décolonisation et ouverture sont deux mots clés. « Nous cherchons toujours de nouvelles manières de rendre nos collections plus accessibles au public, et la collaboration avec Fusion Jeunesse est une belle façon de partager les points forts de la collection Costume, mode et textiles à l’extérieur des murs du Musée. »
TOUT EST DANS LE PROCESSUS
Conçu par l’équipe de l’Action éducative, citoyenne et culturelle en collaboration avec celle de la collection Costume, mode et textiles du Musée, l’atelier La mode, le corps et la société a nécessité plusieurs mois de travail. Si le processus de sélection des pièces a été assuré principalement par Walker, c’est la chargée de projets Elysa Lachapelle – avec l’aide d’une brillante stagiaire, Clémentine Löhrer – qui a conçu le cours.
Fortement influencé par la collection Costume, mode et textiles du Musée, l’atelier vise à exposer les jeunes esprits à différents moments et concepts qui ont marqué l’histoire de la mode, à ouvrir leurs horizons, et à développer chez eux une réflexion et une pensée critique sur l’état actuel de l’industrie et de la société. En même temps, il permet aux élèves de profiter de toute l’expertise et de toutes les ressources que le Musée a à offrir.
« L’atelier aborde la façon dont les vêtements peuvent exprimer l’identité », explique Lachapelle. « Parce c’est ce que fait l’histoire. Elle vous amène à remettre en question tout ce que vous pensiez savoir. »
Sous les lumières fluorescentes de la salle 4601 de l’école secondaire Louis-Joseph-Papineau, le seul écran que Mikaela et ses camarades regardent est celui qui luit derrière David Brassard, le médiateur culturel du Musée McCord Stewart chargé de guider les élèves pendant l’atelier de 90 minutes. À un moment donné durant la présentation, il compare deux ensembles pour homme.
Le premier est un justaucorps en soie iridescent datant des années 1770 brodé de motifs de fleurs. « L’homme aurait également porté une perruque et du maquillage », précise Walker dans la vidéo d’accompagnement. « Un homme très riche », répond un des élèves lorsque Brassard leur demande qui, d’après eux, aurait porté un tel costume.
Le deuxième est un costume noir pragmatique de 1912. Une discussion s’ensuit sur la modernisation rapide engendrée par la révolution industrielle, mais cette fois-ci, on croit plutôt que le vêtement aurait été porté par un majordome.
Plus tard, on mentionne Harry Styles et A$ap Rocky comme des exemples de références masculines actuelles en matière de style. Quelques fous rires bien intentionnés fusent à l’arrière de la classe.
« De telles réactions révèlent que les jeunes ne s’attendent pas à voir certaines choses », explique Lachapelle.
UNE PLACE POUR TOUT LE MONDE
La deuxième partie de l’atelier est sur le point de commencer. On demande aux élèves de créer un tableau d’ambiance, ce que Favielle Petit Clair, coordonnatrice de Fusion Jeunesse pour l’école secondaire Honoré-Mercier, aime beaucoup.
« S’arrêter sur une page, être attiré par quelque chose, la critiquer pour finalement décider de l’arracher. Cela donne beaucoup de contrôle », dit-elle. « Le tableau d’ambiance est l’outil idéal pour travailler sa créativité. C’est une façon simple et amusante de se reconnaître sur papier. »
La deuxième partie de l’atelier est sur le point de commencer. On demande aux élèves de créer un tableau d’ambiance, ce que Favielle Petit Clair, coordonnatrice de Fusion Jeunesse pour l’école secondaire Honoré-Mercier, aime beaucoup.
« S’arrêter sur une page, être attiré par quelque chose, la critiquer pour finalement décider de l’arracher. Cela donne beaucoup de contrôle », dit-elle. « Le tableau d’ambiance est l’outil idéal pour travailler sa créativité. C’est une façon simple et amusante de se reconnaître sur papier. »
Tandis que les élèves commencent à feuilleter les magazines que Brassard a placés sur la table avec des ciseaux et de la colle, le fait de découper, de disposer et de coller les images a quelque chose qui s’apparente aux mentions J’aime, à la sauvegarde et au partage sur les médias sociaux.
L’atelier tire à sa fin, et Mikaela travaille avec son amie Zoe. Alors qu’elles y apportent les dernières touches, je leur demande si elles se reconnaissent dans leur tableau d’ambiance où se déploie une profusion de motifs.
« Tout à fait », déclare Mikaela. « Même si je n’en ai pas les moyens, je porterais absolument tout ce qui se trouve sur notre tableau d’ambiance. »
Les élèves commencent à aligner leurs créations les unes à côté des autres. Il y en a pour tous les goûts, variant en compositions, en couleurs et en inspirations. En les regardant, on peut aussi prendre conscience des aspirations qu’elles incarnent.
Vus à une distance de quelques mètres, les tableaux sont effectivement un régal pour les yeux.
*Tous les noms des élèves ont été modifiés afin de protéger leur identité.