À propos de Mme Farquharson
Discussion entre Zoë Tousignant, conservatrice, Photographie, et Heather McNabb, archiviste de référence, sur le processus de recherche entourant deux photographies de la collection du Musée.
27 novembre 2024
L’exposition À toutes ces femmes que l’on ne nommait pas de Michaëlle Sergile nous a amenées à réexaminer certaines des images conservées dans les Archives photographiques Notman– une collection d’environ 200 000 négatifs sur plaque de verre, 400 000 épreuves et des centaines de registres du studio produits par le studio Notman de Montréal entre 1856 et 1935.
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Zoë Tousignant : L’exploration par l’artiste de portraits de femmes noires, dont la plupart n’ont pas été identifiées par leur nom par le studio Notman, a attiré notre attention sur une femme en particulier qui figure sur deux photographies distinctes.
Dans le premier portrait, datant de 1867, le sujet regarde à droite de l’appareil photo, le bras posé sur une petite table. La femme porte une ample mante en taffetas de soie perlée aux épaules, légèrement entrouverte pour laisser voir les rayures horizontales de sa jupe. Elle est coiffée d’un bonnet garni de dentelle noué au cou par une grosse boucle.
Dans le deuxième portrait, datant de 1868, la même femme pose avec un bébé d’environ six mois. Ici, elle porte une robe d’intérieur à la mode, dont les principales caractéristiques sont les manches pagode et la jupe à trois volants bordés de rayures1. Le bébé sur ses genoux semble avoir la peau claire et porte une robe blanche. Tous les deux regardent directement l’appareil photo et sont assis devant une toile de fond peinte représentant un décor classique.
Peux-tu expliquer la façon dont les portraits étaient titrés lorsque Michaëlle Sergile les a vus pour la première fois dans la base de données du Musée?
Heather McNabb : Lorsque Michaëlle Sergile les a découverts pour la première fois dans notre base de données, le premier portrait était intitulé Mme Farquharson, copié en 1867. Le deuxième portait le titre de Gouvernante et bébé, copié pour Mme Farquharson en 1868. C’est Michaëlle qui a attiré notre attention sur les divergences entre les deux titres. Aucun de ces titres n’apparaît exactement comme il aurait été indiqué à l’époque de William Notman. Il s’agit dans les deux cas de « titres de légende », initialement créés par les responsables du catalogage, probablement dans les années 1960, à partir des mots écrits sous l’image dans les registres originaux du studio Notman (parfois réarrangés pour plus de clarté), avec l’ajout de la date.
Dans les registres du studio, le titre original était le même pour les deux images : Copie Mme Farquharson.
Dans la première légende, le titre a été légèrement modifié lors du catalogage et la date a été ajoutée. La personne qui a catalogué la deuxième photographie, cependant, a fait une supposition et ajouté « Gouvernante et bébé » au titre. De plus, Copie Mme Farquharson a été interprété dans ce cas comme étant une copie pour Mme Farquharson. L’ajout apparemment simple de quatre mots durant le processus de catalogage par souci de « clarification » a eu un effet dévastateur dans ce cas – le sujet possible de la photographie est devenu anonyme!
Le studio Notman a commencé assez tôt à réaliser régulièrement des copies de photographies pour sa clientèle. Les copies, comme les photographies prises au studio, pouvaient aller des photographies miniatures à insérer dans une bague ou un petit médaillon jusqu’aux portraits de grand format disposés dans un cadre.
Zoë : Le fait que ces deux portraits soient des copies est important : dans ce cas, cela signifie effectivement qu’ils n’ont pas été pris par le studio Notman, puisque les Archives photographiques Notman conservent la plupart – sinon la totalité – des négatifs produits par le studio de Montréal. Cela signifie également que les photographies ont été réalisées avant la date à laquelle elles ont été copiées. Si l’on en juge d’après le style vestimentaire et le type de portrait, il est probable qu’elles datent de la fin des années 1850 ou du tout début des années 1860. Mais on ignore où elles ont été prises et on ne peut que spéculer sur la raison pour laquelle elles ont été copiées.
Une copie est essentiellement une photographie d’une photographie, et pouvait être produite pour différentes raisons. Dans le domaine plus large de la photographie du dix-neuvième siècle, on voit souvent que des photographies à image unique, comme des daguerréotypes et des ambrotypes, ont été rephotographiées lorsque ces procédés sont devenus désuets. L’avantage de créer un nouveau négatif à partir d’une vieille photographie était la possibilité de réaliser un nombre illimité de tirages. Cela pouvait s’avérer intéressant lorsqu’une personne de la famille décédait, par exemple, ou qu’elle déménageait au loin. Une image du membre de la famille absent pouvait alors être conservée précieusement par plusieurs personnes.
Il est habituellement facile de voir qu’une photographie est une copie, puisqu’il y a une détérioration de la qualité de l’image. Par exemple, lorsque des daguerréotypes ou des ambrotypes sont rephotographiés, la surface métallique de l’original apparaît sur la nouvelle photographie comme tachetée de picots. Mais dans le cas présent, nous savons aussi que les deux portraits sont des copies parce qu’ils ont été inscrits comme tels dans les Registres de photos du studio Notman.
Heather : C’est exact. Les Registres de photos sont essentiellement des albums photographiques que le studio Notman a créés pour documenter son travail. Chaque album suit un ordre numérique, selon le numéro séquentiel donné à chaque photographie commandée au studio. Le personnel de Notman inscrivait un titre à l’encre ainsi que le numéro sous la photographie collée sur la page de l’album.
Dans la plupart des cas, les titres des portraits correspondaient simplement au nom du client ou de la cliente. Pour un groupe, seul le nom de la personne qui payait était habituellement noté, et le titre donné pouvait être, par exemple, « Groupe de M. Smith » ou « M. Smith et amis ». Si le sujet était un enfant, et que la commande provenait de Mme Smith, le titre de la photographie aurait pu être « Missie Smith » ou peut-être « Bébé de Mme Smith ». Les copies de photographies étaient indiquées par le mot « Copie » devant le nom d’une personne, comme dans nos deux photographies « Copie Mme Farquharson ». Malheureusement pour nous aujourd’hui, le personnel de Notman à cette époque semble avoir tenu pour acquis que « copie » signifiait « copie de ».
Les Registres de photos laissent supposer que les compilateurs ont fait l’effort de demander le nom des personnes figurant sur l’image copiée. Lorsque le sujet était inconnu, une description générale était souvent fournie, telle que « Dame » ou « Enfant », et, de manière significative, le nom de la personne ayant commandé la copie était ajouté dans la plupart des cas. Le titre devenait « Copie Enfant pour M. Cohen », comme dans cet exemple à côté de la deuxième « Copie Mme Farquharson ».
Nous pouvons supposer, en regardant les exemples sur la page de l’album encadrant le portrait de Mme Farquharson, que c’est fort probablement Mme Farquharson qui était le sujet ici, et non pas la personne pour qui le portrait a été copié. Mais nous aurions vraiment souhaité que le personnel de Notman ajoute un « de » pour rendre les choses parfaitement claires.
Zoë : Nous avons l’habitude d’utiliser les Registres de photos pour nous aider dans nos recherches, mais il convient de rappeler combien ces outils sont rares et précieux. En ce qui concerne les portraits de studio du dix-neuvième siècle, la plupart du temps, les identités des sujets ont été perdues. C’est le cas lorsqu’on tombe sur des portraits sur eBay ou dans des magasins d’antiquités, mais aussi dans des collections muséales. Il existe des exceptions, par exemple si la personne représentée est célèbre et reconnaissable, ou si un membre de la famille a inscrit avec affection le nom du sujet au verso de la carte de visite ou de la carte cabinet. Les registres du studio Notman ne sont pas infaillibles, mais ils nous permettent d’entamer le processus de recherche sur des bases solides. Dans le cas présent, nous commençons avec un nom : « Farquharson ». Quelles autres occurrences de ce nom as-tu trouvées dans les registres du studio?
Heather: Le nom Farquharson figure sur quatre autres photographies entre 1867 et 1870. C’est ce que nous a permis de découvrir le Répertoire des clients, un autre type de registre du studio Notman.
Les Répertoires des clients contiennent les noms de famille de toutes les personnes venues se faire photographier au studio, et les noms de famille des sujets figurant sur des copies, avec les numéros de leurs photographies. Ces livres servent d’instruments de recherche pour trouver les photographies classées par ordre numérique dans les Registres de photos2.
Lorsqu’un client ou une cliente se présentait au studio pour commander une réimpression d’une photographie prise antérieurement, le répertoire alphabétique permettait au personnel de chercher le numéro du portrait, de vérifier l’image numérotée dans le Registre de photos et de trouver ensuite le négatif (utilisé pour le tirage) rangé par ordre numérique sur les étagères. Aujourd’hui encore, nous utilisons le système original soigneusement organisé de William Notman, particulièrement pour les sections de la collection qui n’ont pas encore été entièrement cataloguées et numérisées.
Mais pour en revenir aux Farquharson figurant dans le Répertoire des clients, j’ai trouvé le portrait d’un petit garçon, Master Farquharson, pris en 1867, et deux portraits de groupe montrant un homme âgé assis et un homme plus jeune debout, intitulés MM. Farquharson3. Enfin, le plus jeune des deux hommes a été photographié en uniforme en 1868, et le titre nous apprend que son prénom était William et qu’il était sergent. Le chiffre soixante-dix-huit sur son épaule désigne le 78th Highland Regiment of Foot de l’armée britannique4.
Comme les numéros de MM. Farquharson et de Master Farquharson se suivent, il est donc logique de supposer ici que les trois, du moins, étaient de la même famille, et qu’ils sont venus ensemble pour se faire photographier. Il est intéressant de noter que la copie de 1867 de Mme Farquharson n’est pas très éloignée numériquement des trois Farquharson masculins. Il est facile de commencer à spéculer : l’un des M. Farquharson aurait-il apporté le portrait de la femme au studio au moment de leur séance de pose pour qu’il soit copié? Master Farquharson serait-il le bébé que tient Mme Farquharson dans le deuxième portrait copié?
Des recherches dans différents journaux, annuaires, recensements et autres documents historiques de Montréal ont permis de découvrir des indices intéressants. Le sergent William Farquharson est arrivé à Montréal en 1867 avec le 78th Highland Regiment of Foot. En mars 1869, il a épousé une Montréalaise du nom d’Isabella Rogers, et lorsque le régiment fut transféré à Halifax quelques mois plus tard, William est resté dans la ville pour exercer son métier de maître tailleur. Selon le recensement de 1891, son fils aîné, James, avait vingt-cinq ans et travaillait comme commis pour une compagnie ferroviaire. Trop vieux pour être né du mariage de William et Isabella en 1869, James avait à peu près l’âge pour être le « Master Farquharson » photographié en 1867. Il n’est pas impossible que James soit aussi le bébé assis avec sa mère, Mme Farquharson, dans la photographie copiée.
Zoë : C’est fascinant! Et il est vrai que, d’après les traits du visage, il n’est pas impossible que le bébé photographié soit effectivement « Master Farquharson » et qu’il soit l’enfant de Mme Farquharson. Le couple s’était peut-être rencontré avant la venue du sergent Farquharson au Canada, et peut-être est-elle morte peu de temps avant qu’il ne s’installe à Montréal. Cela expliquerait pourquoi les photographies ont été apportées au studio Notman pour être copiées peu après son arrivée dans la ville. Bien entendu, il faudra effectuer de plus amples recherches pour confirmer ces hypothèses. Comme prochaine étape, nous pourrions essayer de trouver des traces archivistiques de Mme Farquharson dans les documents historiques britanniques.
Heather : Absolument! Si une spéculation sur les liens possibles entre le sergent William Farquharson, Mme Farquharson et le jeune Master Farquharson peut s’avérer une bonne stratégie de recherche, l’histoire demeure fictive en l’absence d’informations d’archives pour l’étayer. Découvrir la biographie du sergent Farquharson et connaître ses allées et venues lorsqu’il était avec le 78th Regiment of Foot pourrait nous mettre sur une piste pour commencer la recherche. J’ai déjà vu quelques indices prometteurs – espérons qu’ils nous mèneront à la « deuxième partie » de notre discussion!
Notes
1. Les autrices désirent remercier Cynthia Cooper, conservatrice, Costume, mode et textiles du Musée McCord Stewart, de nous avoir fourni de précieuses informations sur la tenue vestimentaire du sujet.
2. Il y a en tout quarante-trois Répertoires des clients, chacun couvrant quelques années durant la période de 1860 à 1935-1936.
3. Forme plurielle du titre de civilité anglais Mr., « Messrs » était couramment employé pour décrire un groupe d’hommes. On donnait souvent le titre de « Master » aux jeunes garçons et de « Missie » aux jeunes filles.
4. Il importe cependant de noter que le fait que Mme Farquharson figure dans le Répertoire des clients à côté de ces autres Farquharson ne signifie pas nécessairement qu’ils font tous partie de la même famille. Le Répertoire des clients regroupe toutes les photographies sous le même nom de famille, qu’il y ait ou non un lien de parenté entre les personnes nommées.