Avant l’invention du Gore-Tex…
Découvrez la matière ingénieuse qu’utilisaient les communautés autochtones pour fabriquer des vêtements d’extérieur imperméables et respirants.
15 juin 2022
Aujourd’hui, lorsqu’on pense à des vêtements d’extérieur imperméables, mais respirants, ce sont des matières synthétiques high-tech comme le Gore-Tex qui nous viennent en tête. Avant l’invention du Gore-Tex, des tissus fabriqués à partir d’autres matières synthétiques comme le nylon étaient utilisés pour leurs propriétés hydrofuges.
À l’époque, le coton pouvait être ciré ou huilé et les tissus étaient caoutchoutés. Si cela permettait de se maintenir au sec, ces tissus ne respiraient pas, rendant inconfortable le port de ces vêtements pendant une période de temps prolongée, surtout lors d’activités physiques.
Bien avant que l’on adapte ces matières pour confectionner des vêtements imperméables, les communautés nordiques utilisaient la membrane intestinale de mammifères marins comme le phoque, la baleine ou le morse. Ces vêtements étaient traditionnellement fabriqués dans des communautés autochtones situées dans le Nord circumpolaire. En plus d’être imperméables, ils étaient légers – certains pesant aussi peu que 85 grammes – et ils étaient portés par-dessus des manteaux chauds comme des parkas de fourrure. Ils étaient principalement utilisés par les chasseurs afin de se tenir au sec lors de la chasse en kayak. Toutefois, des versions plus élaborées de ces vêtements étaient parfois portées lors de cérémonies ou de rituels de guérison chamaniques (Rowe, p. 1).
Notre première rencontre
J’ai découvert ce parka pour la première fois lorsqu’il a atterri sur ma table de travail. À première vue, il ressemblait à une énorme croustille poussiéreuse, avec une texture fragile et craquante similaire.
Ce parka, qui provient d’une communauté yup’ik, est formé de bandes de membrane intestinale cousues ensemble à l’horizontale. Pour assurer une protection contre le vent et la pluie, il n’y a pas d’ouverture frontale, seulement une encolure haute et un capuchon qui peut être refermé autour du visage. Les épaules sont assez amples afin de faciliter les mouvements durant la chasse. Une bande de peau de phoque épilée a été cousue autour de l’ourlet afin d’apporter une certaine structure et une rigidité à la portion inférieure du vêtement.
Traitement de la membrane
La membrane était nettoyée et traitée afin de retirer les couches extérieure et intérieure pour ne conserver que la couche centrale. Celle-ci a des propriétés spéciales convenant parfaitement à un vêtement étanche : elle est imperméable à l’humidité d’un côté et absorbe l’humidité de l’autre.
Une fois les autres couches retirées, les intestins étaient lavés à l’eau salée ou à l’eau douce puis gonflés comme un long ballon et mis à sécher. En vue du travail de couture, les tubes étaient coupés sur la longueur pour former des bandes plates. Une fois bien préparée, la membrane a une belle apparence translucide.
Points de coutures imperméables
Durant la confection du parka, la membrane était orientée de la même façon que dans le corps de l’animal, la surface imperméable étant du côté extérieur du vêtement. Cela permettait à la vapeur de s’échapper par les pores tout en gardant la personne au sec (Issenman, 1997, p. 73).
Les bandes de membrane ont été cousues ensemble en utilisant un type de point imperméable. Pour ce faire, chaque côté de la couture a été plié vers l’intérieur, créant quatre couches à travers lesquelles deux rangées de points entrelacés ont été cousues. Outre l’aspect fonctionnel de la couture, le point résultant apporte un élément décoratif à un vêtement autrement dépouillé de tout ornement.
Nettoyer, reformer et ouvrir le parka
La première étape dans le traitement du parka consistait à en nettoyer la plus grande surface possible, pour ensuite le reformer et l’ouvrir. Une fois mouillée, la membrane a retrouvé son élasticité, sa souplesse et sa translucidité. Cela a nécessité plusieurs séances d’humidification avec de la vapeur d’eau et l’application d’une eau déminéralisée directement sur la matière avec un pinceau.
Une fois la matière redevenue flexible, j’ai pu avoir graduellement accès à l’intérieur du vêtement et le reformer en le rembourrant avec du papier de soie. Le parka étant maintenant ouvert, il était possible de constater la gravité des dommages causés par les insectes ainsi que les déchirures.
Le long de la partie inférieure, là où se trouvaient plusieurs déchirures, de grandes portions de la bande en peau de phoque étaient manquantes.
Raccommoder les déchirures et les tours
Une fois le parka nettoyé et reformé, les déchirures et les trous ont été raccommodés. Pour effectuer les réparations à la membrane, notre choix s’est arrêté sur de la baudruche (la membrane extérieure traitée d’un intestin de bœuf communément utilisée dans la production de feuilles d’or) en raison de son aspect visuel et de sa texture similaires à celle-ci. La baudruche a d’abord été colorée avec des peintures acryliques afin qu’elle se fonde visuellement dans la membrane. Pour remplacer les parties manquantes de la bande en peau de phoque, des bandes de papier Japon pliées et traitées à l’aquarelle ont été incorporées.
Pour l’adhésif, une colle d’amidon de riz a été utilisée puisqu’il s’agit d’un produit non toxique, à base d’eau et facile à retirer. L’humidité dans l’adhésif ayant rapidement assoupli la membrane, il était plus facile de manipuler et d’aligner les côtés des déchirures et de positionner les pièces de remplacement.
Les extraordinaires propriétés de ces parkas étaient essentielles à la survie dans certaines conditions nordiques et la confection de ces vêtements nécessitait beaucoup de savoir-faire. Ces créations demandaient énormément de travail, particulièrement lors des étapes de nettoyage et de traitement de la matière.
Conjuguée aux propriétés physiques de la membrane, la couture imperméable jouait un rôle crucial pour garder la personne au sec. C’est pourquoi la couturière ayant fabriqué le vêtement était considérée avec beaucoup de respect. La translucidité de la membrane apporte une beauté toute simple à ces parkas dont la finesse d’exécution et la fonction en faisaient des vêtements extrêmement prisés.
Références
Cruickshank, P. et Vanessa Sáiz Gómez, « An early gut parka from the Arctic: Its past and current treatment », préparé pour l’atelier d’ethnographie de l’ICON, Scrapping gut and plucking feathers: the deterioration and conservation of feather and gut materials, 2009.
Issenman, B. K., Sinews of Survival: The Living Legacy of Inuit Clothing, Vancouver, UBC Press, 1997.
Issenman, B. K. (1988). Ivalu, Montréal, Musée McCord d’Histoire Canadienne.
Reed, F., « Embellishments of the Alaska Native Gut Parka », Textile Society of America Symposium Proceedings, 2008.
Reed, F., « The Poor Man’s Raincoat: Alaskan Fish Skin Garments », dans Arctic Clothing of North America: Alaska, Canada, Greenland, sous la direction de J.C.H. King et autres, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2005.
Rowe, S., F. Ravaioli, C. Tully et M. Narvey, « Conservation and Analysis on a Shoestring: Displaying Gut Parkas at the Polar Museum, Cambridge », Journal of Conservation and Museum Studies, vol. 16 (1), p. 1-11, 2018.