Brian Merrett : Le passé et sa présence
Le photographe Brian Merrett nous confie comment la saisie d'images architecturales l'a mené à militer pour la protection du patrimoine montréalais.
17 août 2021
Go ask the sisters, a simplement dit le commis du dépanneur au photographe montréalais Brian Merrett, au début des années 1970. Je cherchais une place de stationnement permanente, car la rue où j’habitais dans l’actuel arrondissement Ville-Marie était passée de rue résidentielle à sortie d’autoroute, me dit-il depuis l’autre côté de la table à pique-nique où nous sommes installés, au parc Laurier. Je suis entré dans un dépanneur pour demander où je pouvais me stationner dans le quartier et on m’a dit d’aller demander aux sœurs. À cette époque, la maison Shaughnessy servait de foyer pour aînés et elle était tenue par des religieuses. Tous les mois, j’entrais donc dans cette grande maison pour aller donner les 10 $ que me coûtait le stationnement.
IL FAUDRA D’ABORD ME PASSER SUR LE CORPS!
Un jour, cependant, j’ai demandé aux sœurs si je pouvais revenir avec mon appareil pour photographier la demeure. Je leur ai dit que j’étais étudiant en architecture, parce que je savais qu’elles préféraient rester discrètes et auraient refusé si je leur avais dit que j’étais photographe, me raconte-t-il avec un plaisir évident. Les sœurs acceptent après lui avoir fait promettre de ne pas montrer ces photos aux médias, parce que la maison allait bientôt être vendue à un promoteur cherchant à construire un hôtel sur le terrain. I said to myself : Over my dead body.
Pour essayer d’empêcher la démolition de la maison, il montrera ces images à plusieurs personnes à Montréal, dont l’architecte et philanthrope Phyllis Lambert. L’année suivante, celle-ci achète la maison pour la protéger. Une dizaine d’années plus tard, elle sera intégrée au Centre Canadien d’Architecture fondé par Phyllis Lambert. Tout ça parce que je me cherchais une place de stationnement!
AU COMMENCEMENT : UN POPSICLE
Fils d’un architecte, Brian a développé très tôt une sensibilité particulière pour le patrimoine architectural. Son œil a formé le mien, confie-t-il en parlant de son père. Un œil exercé à concevoir des bâtiments en a formé un autre à en saisir, de manière critique et élégante, la vérité et les détails.
À l’âge de douze ans, j’ai participé à un concours organisé par la compagnie Popsicle, me raconte Brian. Le premier prix était un voyage aux chutes Niagara et le deuxième un appareil photo 35 mm. J’ai gagné le deuxième prix. C’est comme ça que tout a commencé, me dit-il en ajustant sa casquette sur laquelle on peut lire, brodé en fil doré, Camera Work.
Parfait autodidacte, il a quitté rapidement la société d’ingénierie pour laquelle il faisait du dessin technique afin de devenir apprenti au studio de photo Koraen Group. Il commence ainsi une carrière commerciale au cours de laquelle il fera de la photographie architecturale, mais aussi muséale, car de 1983 à 2001 il travaille comme photographe au Musée des beaux-arts de Montréal.
INDIGNATION FACE À LA DESTRUCTION ET À L’OUBLI
Au début de sa carrière commerciale, Brian a eu pour mandat de photographier les chapiteaux des colonnes du bâtiment de la Banque de Montréal, près de la place d’Armes. Je photographiais les chapiteaux abîmés afin de produire des images de référence pour les sculpteurs.
Un jour, je suis sur l’échafaudage, je me retourne et je prends une photo de la place d’Armes. Il y a, d’un côté, le vieux séminaire de Saint-Sulpice, situé tout près de l’immense tour de la Banque Nationale construite dans les années 1960. Cet instant a été le premier eye opener. Le volume écrasant de l’imposant bâtiment surplombant le séminaire de pierre a mis en perspective la fragilité de ce dernier.
C’est donc dans le but de protéger le patrimoine architectural de Montréal qu’il a arpenté et photographié ses rues pendant tant d’années. Au fil de sa carrière, il a pris des photos pour le Westmount Action Committee, SOS Montréal et Héritage Montréal, dont il est l’un des membres fondateurs, produisant des dizaines de milliers d’images avec la passion au cœur et l’indignation au ventre, menant chaque fois un combat contre l’oubli.
Pour moi la photographie, c’était d’abord pour documenter, et ça a évolué en activisme. Avec la photographie je veux conscientiser, « build awareness ».
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C’est justement parce qu’il craignait que son travail de conscientisation ne sombre dans l’oubli que Brian a fait don d’une partie de sa collection au Musée McCord. Ce don représente une décennie de négatifs, soit environ 40 000, dont la plupart n’ont jamais été imprimés et dévoilés au public. Dans ces négatifs se cachent des pans de l’histoire de Montréal maintenant disparus ou transformés. C’est le fruit d’une documentation scrupuleuse et passionnée.
À 76 ans et maintenant semi-retraité, Brian Merrett n’a pas fini de partager avec nous sa passion pour l’architecture et l’image. C’est difficile de penser qu’on ne fera pas de photographie lorsqu’une cause se présente.