Griffintown – Montréal en mutation
L’histoire de Montréal à portée de main! Les Circuits urbains, proposent d’en apprendre plus sur l’histoire de certains lieux de Montréal.
18 juin 2024
Vivez une expérience unique hors les murs grâce aux images historiques puisées dans les collections du Musée.
Munis de votre téléphone, explorez divers circuits thématiques et découvrez l’histoire de nombreux sites de la ville et des images témoignant du Montréal d’autrefois.
Au cours des dix dernières années, une transformation majeure touchant à la fois la trame et l’architecture de Griffintown a peu à peu occulté les signes de son passé industriel et ouvrier. Il ne s’agit toutefois que du plus récent chapitre d’une histoire faite de cycles de destruction et de renouveau.
1. PLACE DU MARCHÉ À FOIN ET L’ÉGLISE ST. STEPHENS
Le bâtiment à gauche sur la photographie est l’église St. Stephen (démolie en 1950), et au loin, de l’autre côté de la place, on peut voir l’église presbytérienne St. Mark (démolie dans les années 1920?).
Griffintown est situé en zone de basse altitude, et durant le 19e siècle et le début du 20e, les inondations printanières n’étaient pas inhabituelles. Lorsque le niveau de l’eau était particulièrement élevé, comme on le voit sur cette photographie, les gens se déplaçaient sur tout ce qui pouvait flotter.
Lorsqu’elle n’était pas inondée, la place servait de marché à foin, une marchandise importante étant donné les milliers de chevaux vivant dans la ville à cette époque. Dans cette vue aérienne de la place, on peut voir l’église St. Stephen et, à sa droite, les chariots à foin entourant le poste de pesée avec son toit octogonal.
Dans les années 1930, la place fut divisée par le viaduc des Chemins de fer nationaux du Canada, et plus tard, la construction de l’autoroute Bonaventure a rendu le côté est inaccessible. Avec l’ouverture récente du parc Bonaventure, une partie de la place du marché à foin a retrouvé sa vocation d’espace public.
La construction de l’immense autoroute a transformé radicalement l’accès à Griffintown et son paysage visuel. Il est facile d’imaginer les réactions suscitées par le projet au sein de la population locale.
2. ÉDIFICE GAULT BROTHERS
Cette usine, où l’on fabriquait des chemises, des cravates, des blouses et des sous-vêtements pour dames, a été construite en 1901 pour la Gault Brothers’ Company Limited. Les frères Gault étaient aussi importateurs de lainages et marchands de tissus canadiens de laine et de coton.
Né en Irlande, Andrew Frederick Gault, fondateur et président de l’entreprise, était également à la tête de plusieurs compagnies manufacturières. Ses efforts pour organiser l’industrie textile du coton lui ont valu le titre de « roi du coton au Canada ».
Non loin, dans la rue William, la Walter M. Lowney Company of Canada – fabricant de cacao, de chocolat et de friandises au chocolat – fit construire une grande usine avec entrepôt en 1905. L’entreprise florissante s’appropria également le bâtiment Gault dans les années 1920. Lorsque Lowney déménagea à Sherbrooke en 1960, elle céda la place à une manufacture d’articles de cuir qui est demeurée active jusqu’en 1992. Aujourd’hui, l’immeuble fait partie d’un complexe d’habitations en copropriété appelé The Lowney.
3. NEW CITY GAS
Lorsque la New City Gas Company fut incorporée en 1847, l’objectif de ses dirigeants était d’éclairer les espaces publics, les rues, les magasins et les habitations privées en fournissant du gaz « en plus grande quantité, de meilleure qualité et à meilleur prix » que leur concurrent, qui en détenait auparavant le monopole. L’éclairage au gaz a également grandement profité au secteur industriel, permettant aux usines de poursuivre leur production pendant la nuit.
Le gaz était produit ici en chauffant le charbon et en séparant les gaz combustibles des matières solides. Le gaz de houille était acheminé aux clients par des conduites souterraines.
L’extérieur de brique du bâtiment que vous voyez devant vous date de 1861, mais la façade de pierre de deux étages située du côté est remonte sans doute à la fondation de la compagnie. À votre droite, le bâtiment de brique légèrement en retrait, visible sur la photographie de 1896, était une seconde usine ajoutée entre 1859 et 1861.
À l’origine, le bâtiment et ses installations ont permis aux industries de prolonger leurs heures de production et d’être en activité de jour comme de nuit.
Aujourd’hui, le New City Gas est un espace événementiel d’envergure et un lieu couru de la vie nocturne montréalaise.
4. GRIFFINTOWN CLUB
De 1930 à 1953, le Griffintown Club était situé ici, à l’angle des rues Ottawa et Shannon. Fondé en 1908 par Owen Dawson, greffier à la cour juvénile, le club offrait des activités sportives et autres aux garçons du quartier pour les occuper à des loisirs sains et les empêcher de faire des « mauvais coups » dans les rues. Une section pour filles a suivi peu après.
La boxe a rapidement gagné en popularité auprès des garçons du club. Cliff Sowery, le directeur des activités physiques du Griffintown Club, que l’on voit dans ce portrait de groupe avec l’entraîneur Richard « Dutchy » Pierson, a formé un certain nombre de champions de boxe.
Jimmy Davies, un membre du club, a remporté les titres dans la catégorie poids mi-lourd lors des championnats de boxe provinciaux et du Dominion de 1946. Armand Savoie a participé aux Jeux olympiques de 1948, pour ensuite faire carrière avec succès dans l’univers de la boxe professionnelle.
Le Griffintown Club était un lieu de rassemblement pour la communauté locale, offrant des activités aux garçons et aux filles de l’âge préscolaire jusqu’au début de l’âge adulte. Des activités sociales et éducatives étaient également proposées à leurs mères.
Le personnel restreint et les quelques bénévoles du club se sont mobilisés pour aider de leur mieux lorsqu’un bombardier Liberator s’est écrasé à proximité quelques minutes après son décollage de Dorval, le matin du 25 avril 1944. Deux immeubles locatifs de trois étages de la rue Shannon, non loin derrière là où vous vous trouvez maintenant, ont été détruits, et un troisième donnant sur la rue Ottawa fut lourdement endommagé. Les cinq membres de l’équipage du bombardier ont perdu la vie, ainsi que dix résidents du quartier.
Durant la première moitié du 20e siècle, une vie communautaire animait toujours Griffintown. Aujourd’hui, il n’y a que peu d’organisations communautaires à l’intérieur des limites du quartier, malgré le regain récent des activités et la hausse démographique. Mais plusieurs actions citoyennes prennent vie et un projet d’école primaire est sur la planche à dessin. Sera-t-elle le catalyseur du développement du tissu social du quartier?
5. BRASSERIE DOW
Bien qu’on y fabrique plus de bière aujourd’hui, ce bâtiment a abrité une brasserie dès 1808, lorsque le brasseur Thomas Dunn a déménagé son entreprise de Laprairie à Montréal. En 1818 ou 1819, Dunn a embauché William Dow, un jeune immigrant écossais qui s’y connaissait en brassage, comme contremaître.
En 1829, Dow était devenu associé dans l’entreprise, et après la mort de Thomas Dunn en 1834, la brasserie a adopté le nom de William Dow & Company.
En 1863, peu de temps avant de vendre l’entreprise et de quitter l’industrie brassicole, Dow produisait environ 700 000 gallons de bière par année, contre 142 000 gallons pour la brasserie Molson.
En 1909, la Dow fusionnait avec les brasseries Dawes, Ekers et Union pour former la National Breweries Limited. La bière conserva le nom de Dow jusque dans les années 1990.
Cet immeuble, qui abritait une installation de brassage et un entrepôt, a été construit entre 1924 et 1925.
6. MONTREAL WAREHOUSING COMPANY
La Montreal Warehousing Company est entrée en activité en 1869, avec le magnat du commerce maritime Hugh Allan comme président. Thomas Cramp, également actif dans ce secteur, en était le vice-président.
Le bâtiment que l’on voit dans la première photographie était l’entrepôt principal de la compagnie. Il était situé dans un endroit stratégique puisqu’il était desservi par un embranchement de la ligne ferroviaire du Grand Tronc – reliant Montréal à Portland, dans le Maine – sur ce qui est aujourd’hui la rue Smith. Le bassin à farine du canal de Lachine (aujourd’hui le bassin Peel) se trouvait derrière, là où les navires à vapeur arrivant des Grands Lacs et les grands vaisseaux océaniques à vapeur pouvaient accoster.
Selon une publication de 1886, le bâtiment, haut de sept étages du côté ouest et de cinq du côté est, avait une capacité d’entreposage de 400 000 boisseaux de céréales et de 80 000 barils de farine. Quatre « élévateurs et descendeurs » actionnés à la vapeur étaient situés au centre de l’entrepôt pour faciliter le chargement et le déchargement.
Démoli en 1931, le bâtiment a fait place aux voies ferrées du Canadien National menant à la gare centrale.
7. SQUARE GALLERY
Le square Gallery et son bain public ont été nommés d’après l’échevin Daniel Gallery, un marchand-tailleur natif d’Irlande et résident de Griffintown.
Représentant la circonscription de Sainte-Anne au conseil municipal de Montréal, Daniel Gallery était aussi député fédéral.
En juillet 1899, il recommanda la construction d’un bain public près du pont Wellington, faisant valoir qu’il s’agissait d’une nécessité dans cette partie densément peuplée et surchauffée de la ville, où « les enfants sont dans le canal comme des canards dans l’eau et ont souvent été arrêtés ».
Inauguré en 1901, le bain Gallery abritait une piscine et des douches à la disposition des résidents des immeubles où il n’y avait pas d’eau chaude.
Trente ans plus tard, avec la construction du tunnel Wellington sous le canal de Lachine, qui a considérablement réduit la superficie du square, il a fallu démolir le bain. Le bâtiment qui se trouve sur le square encore aujourd’hui est la vespasienne – l’urinoir public – qui a remplacé le bain Gallery en 1932.
Au début du 20e siècle, les bains publics étaient des installations urbaines essentielles à la santé et à la qualité de vie des populations ouvrières comme celle de Griffintown. Aujourd’hui, quelles sont les installations publiques considérées nécessaires au bien-être des résidents d’un quartier? Quelles sont celles de votre quartier qui contribuent à améliorer la vie des citoyens?
8. ÉGLISE ST. ANN
Les immigrants irlandais se sont établis en grand nombre à Griffintown, plusieurs étant arrivés entre 1845 et 1849 durant la famine de la pomme de terre. Il leur était facile de trouver du travail dans les industries et les usines situées à proximité le long du canal de Lachine.
La mission St. Ann fut fondée en 1848 afin de servir une population grandissante de catholiques romains anglophones, dont la plupart étaient de descendance irlandaise. L’église St. Ann fut construite quelques années plus tard, pour ouvrir ses portes en 1854.
Un siècle plus tard, en 1951, un article de journal mentionnait que l’église St. Ann était toujours au centre de la « vie religieuse, sociale et commerciale » de la communauté irlandaise, reflet fidèle de son « cœur et de son âme ».
Malgré tout, la communauté irlandaise était en diminution, la population locale étant attirée par les occasions d’emploi ailleurs. À la fin des années 1960, il ne restait qu’environ 90 des quelque 1 200 familles qui avaient déjà fréquenté l’église St. Ann. Les derniers services ont eu lieu le 1er février 1970, et l’église fut démolie plus tard durant l’année.
Cet espace est d’une grande importance pour le quartier et ses résidents. Dans son aménagement actuel, dans quelle mesure contribue-t-il à évoquer et à contextualiser l’histoire de Griffintown?
9. MAISON KEEGAN
Andrew Keegan, un enseignant né en Irlande, a vécu dans cette maison avec sa femme Ellen et leurs huit enfants de 1863 à 1891 environ.
Il s’agit fort probablement de la plus vieille maison de Griffintown. Selon l’expert en patrimoine urbain David Hanna, la forme du toit, les moulures en bois et le fini et la disposition des briques permettent de situer la construction du bâtiment entre 1825 et 1835.
Selon Hanna, Andrew Keegan a pu acquérir la maison de la Ville de Montréal lors des travaux de prolongement de la rue Smith (aujourd’hui Wellington) jusqu’à la rue McCord (aujourd’hui rue de la Montagne). Si c’est le cas, cette maison aurait été déplacée deux fois dans ses quelque 200 ans d’existence. Une première fois par Keegan, lorsqu’il l’a déménagée de la rue Murray pour l’installer ici, et une deuxième fois en 2015 lorsqu’elle a été déplacée temporairement pour la protéger durant la construction du projet de copropriétés Brickfields.
La sauvegarde de ce témoin architectural du passé de Montréal représente une victoire pour la protection du patrimoine. La maison restaurée a été intégrée à un immeuble de copropriétés moderne dont elle est aujourd’hui le hall d’entrée.
Est-ce que cette cohabitation entre des bâtiments d’époque et des constructions contemporaines vous interpelle? Trouvez-vous que c’est réussi dans le cas présent?
10. HORSE PALACE
Leo Leonard, alias « Clawhammer Jack », était le propriétaire du « Horse Palace » situé rue Ottawa, entre Eleanor et Murray. Construite dans les années 1860, l’écurie accueillait certains des chevaux qui transportaient les touristes en calèche dans les rues du Vieux-Montréal.
Lorsque Leo a pris sa retraite en 2011, la controverse a éclaté au sujet du sort de l’écurie, située dans un secteur en plein développement.
En 2019, les calèches de Montréal ont disparu pour de bon lorsque la Ville a décidé – après plusieurs années de débats – de bannir cette activité. Les enjeux relatifs à la protection des animaux et à leur bien-être l’ont emporté sur la valeur patrimoniale de l’écurie et de ce qu’elle symbolisait, de même que sur le sort des travailleurs concernés.
11. CENTRALE DE LA MONTREAL STREET RAILWAY
Cette photographie prise en 1894 montre la nouvelle centrale construite pour le réseau de tramways, située de l’autre côté de la rue William. On y faisait brûler du charbon pour faire fonctionner les génératrices électriques à vapeur qui, à leur tour, alimentaient les lignes aériennes assurant la circulation des tramways électriques de Montréal.
Montréal possédait un réseau de transport en commun reposant sur des tramways tirés par des chevaux depuis 1861, mais en 1892, la Montreal Street Railway instaura une ligne de tramways électriques. Au début, le service était limité, mais avec l’expansion du réseau, les besoins en électricité de la compagnie augmentèrent.
Trois ans après la prise de cette photographie, la compagnie fit construire une autre chaufferie dotée d’une gigantesque cheminée s’élevant à près de 78 mètres dans les airs, qu’on disait être la plus haute au Canada.
L’hydroélectricité produite par les centrales à eau a éventuellement remplacé le charbon comme principale source d’énergie pour les tramways de la ville, et en 1922 la centrale à la vapeur de la rue William n’était plus que rarement utilisée, comme système de remplacement en cas d’urgence.
12. MAISON DE LA RUE BARRÉ
Selon le recensement de 1901, John Caldwell, un ouvrier natif d’Irlande, a vécu avec sa femme Mary dans la maison que l’on voit sur cette photographie, qui était située au 149, rue de l’Aqueduc, au coin de Barré.
Au début du 20e siècle, ce bâtiment a connu le même sort que celui de nombreuses petites maisons des quartiers ouvriers en pleine expansion comme celui de Griffintown. La demande de logements était élevée à Montréal, dont la population avait presque triplé entre 1890 et 1920. La valeur des terrains était en hausse, et les maisons unifamiliales ont graduellement fait place à un nouveau style d’habitations, le duplex et le triplex.
Dans l’annuaire de 1910 de la ville, le 149, rue de l’Aqueduc est indiqué comme vacant. En un an, plusieurs nouvelles adresses sont apparues à cet endroit. Il semble que la construction d’un triplex était en cours, et en 1914, il y avait des occupants recensés pour chacune des douze unités d’habitation du nouveau bâtiment situé sur ce coin de rue.
Quelques bâtiments plus vieux du secteur ont été photographiés par le studio Wm. Notman & Son en 1903. Les photographies avaient été commandées par un certain M. Meredith, qui était peut-être promoteur immobilier ou directeur de banque.
Aujourd’hui, Griffintown est l’un des secteurs résidentiels les plus densément peuplés de Montréal. Les maisons unifamiliales construites dans les débuts du quartier ont été remplacées par des duplex et des triplex, qui ont fait place à leur tour à des immeubles d’appartements où vivent des centaines de résidents.
13. ÉPICERIE DE JOSEPH BASTIEN
Ce bâtiment en brique de deux étages, qui était situé sur la rue Barré à l’angle de la ruelle Gareau, est typique des premières maisons en rangée construites à Montréal autour de 1860.
Contrairement au style des habitations construites ultérieurement à Montréal, qui étaient en retrait de la rue et dotées d’escaliers extérieurs, cette série de maisons en rangée avait été bâtie directement sur le bord du terrain et les escaliers menant aux logements à l’étage étaient à l’intérieur.
Lorsque ces photographies ont été prises en 1903, l’entrée dans le coin gauche du bâtiment menait à l’épicerie de Joseph Bastien au 142, rue Barré. Joseph vivait à deux portes de là, au 146, rue Barré. La veuve Catherine Gareau, une résidente de longue date, habitait au 144. Il est possible que cette série de maisons en rangée ait été construite par son mari Joseph Gareau, un maçon, au début des années 1860.
14. LA RUE MCCORD
Vous vous trouvez maintenant sur une section de la rue de la Montagne qui portait autrefois le nom de McCord, et qui allait de la rue Notre-Dame, au sud de Wellington et du canal de Lachine. La rue avait été nommée d’après Thomas McCord, un Irlandais dont la famille était venue s’établir au Québec lorsqu’il était enfant, vers 1760.
En 1792 et 1793, McCord a acquis deux baux de 99 ans pour deux parcelles situées dans ce secteur, le fief Nazareth et la concession Sainte-Anne. Entre 1796 et 1805, McCord vivait en Irlande et avait confié ses affaires aux mains de son neveu par alliance.
Par une série de manœuvres, dont McCord ignorait tout à l’époque, le neveu a vendu la propriété à Mary Griffin, qui l’a divisée en lots pour les vendre. McCord a mené l’affaire devant les tribunaux et a fini par récupérer le terrain loué en 1814. Le secteur, toutefois, a continué d’être communément désigné sous le nom de Griffintown.
Le petit-fils de Thomas McCord, David Ross McCord, est le fondateur du Musée McCord Stewart.