Nomination de Jean-Baptiste Baquet , dit Lamontagne, par Ignace-Michel-Louis-Antoine d'Irumberry de Salaberry, 20 janvier 1810. Collection Stewart d’histoire canadienne et atlantique S001, S001/C3.3,5.4, Musée McCord Stewart

Une collection d’archives insoupçonnée

Voyagez au cœur de la Collection Stewart d'histoire canadienne et atlantique et découvrez le véritable travail de détective réalisé pour la documenter.

Louis Lalancette, doctorant en histoire et médiateur culturel, Musée McCord Stewart

9 mai 2023

Au printemps 2016, alors que j’étais guide-interprète au Musée Stewart et que je m’apprêtais à commencer mon doctorat en histoire à l’Université Laval à Québec, la conservatrice Sylvie Dauphin me proposa mon premier contrat de recherche d’historien : travailler au projet de numérisation et de description de la Collection Stewart d’histoire canadienne et atlantique (alors appelée Collection Époque coloniale) du Musée Stewart. J’acquiesçai sans hésiter, car la collection rejoignait mes champs de spécialisation (l’époque moderne et l’histoire atlantique) ainsi que mes intérêts en recherche (l’histoire sociale et militaire de la Nouvelle-France).

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Sans le savoir, je m’embarquais dans une longue aventure qui allait durer près de six mois et avec laquelle je renouerais plus tard, à l’automne 2022.

L'HÉRITAGE DU COUPLE STEWART

L’objectif du projet était de faciliter l’accès à la collection, de contribuer à la diffusion des connaissances et de limiter la manipulation de documents fragiles et uniques. Mon mandat était de rédiger, ou encore de valider et de bonifier la description d’environ 850 documents produits entre le 15e et 19e siècle en Amérique du Nord et en Europe. Mais avant de plonger dans la recherche et la rédaction, j’avais besoin d’avoir une vue d’ensemble de ces archives.

Louis Lalancette au Centre d'archives et de documentation. Roger Aziz © Musée McCord Stewart, 2023

La collection était composée de cinq séries regroupées par aire géographique de production : France, Angleterre, Canada, États-Unis et Autres pays. Chacune d’entre elles était subdivisée en sous-séries organisées en fonction des dynasties royales et des régimes politiques s’étant succédé dans chaque pays. Enfin, chacun de ces ensembles était à son tour subdivisé par thématique : administration, économie, militaire, religion, état civil, etc.

De Versailles à la Louisiane, de Londres au Massachusetts, la collection couvrait principalement le monde atlantique et était axée sur l’histoire de la France, de l’Angleterre et de leurs colonies nord-américaines. On y trouvait une très grande variété de documents et de manuscrits. Ceux-ci nous faisaient par exemple passer de la grande histoire politique, avec des déclarations de guerre et des traités de paix, à l’histoire économique, avec des états de compte, des lettres de change, mais aussi des ordonnances royales visant la réglementation du commerce. On touchait ensuite à l’histoire militaire, abondamment illustrée par des commissions d’officiers, des ordres, des congés et de la correspondance, et à l’histoire sociale, par le biais de contrats de travail, de mariage et d’autres documents de diverses natures. En outre, certaines pièces, visiblement sélectionnées pour l’importance historique de leurs auteurs, nous catapultaient aussi loin que Le Caire, à la rencontre de Napoléon Bonaparte et des marchands de café égyptiens.

Cette collection de prime abord un peu éclatée ne pouvait être comprise sans prendre en compte la vision de David Macdonald Stewart (1920-1984) et de son épouse Liliane Stewart (1928-2014) pour l’enseignement de l’histoire canadienne et occidentale. Chaque document avait été acquis à la pièce par l’entremise de la Société historique du Lac Saint-Louis, fondée par David M. Stewart en 1955. Les acquisitions de manuscrits ou de livres rares étaient pensées pour être associées à un objet et à une image de la collection à des fins pédagogiques. Bien en selle, je pouvais m’atteler au travail, mais j’allais faire face à de nombreux défis.

UN PREMIER DÉFI : LA CALLIGRAPHIE DU 16e SIÈCLE

Dès la première pièce sur laquelle je devais travailler, un document produit en 1534, j’ai été sorti de ma zone de confort. Il s’agissait d’une lettre (A1.1,1.1) signée par le roi de France, François 1er (1494-1547), adressée à l’un de ses ambassadeurs.

N’étant pas rompu à la paléographie du 16e siècle, il m’était impossible de déchiffrer l’ancienne calligraphie française. Je fis ainsi appel au médiéviste Didier Méhu, professeur d’histoire à l’Université Laval, pour m’assister dans la traduction des quelques documents antérieurs au 17e siècle, dont certains étaient rédigés en latin. Tout au long de mon mandat, j’ai dû faire appel à des spécialistes externes afin de m’aider à déchiffrer certains manuscrits et à en comprendre la signification, à en identifier l’origine ou l’auteur. Jamais je n’aurais cru avoir la chance un jour de manipuler un document signé par François 1er, le monarque ayant dépêché Jacques Cartier vers l’Amérique en 1534. Ce n’était que le début, car la collection regorge de documents signés par de célèbres personnages.

LE MYSTÉRIEUX M. DE MANERÉ

Je me suis ensuite attaqué au manuscrit suivant. Il s’agissait d’un cahier de brouillons de lettres (A2.1,1.1) rédigées par un auteur inconnu et adressées à un certain M. de Maneré établi à Madrid en 1718, dans lesquelles il était question des négociations diplomatiques du royaume de France à l’époque de la Régence (1715-1723).

La description existante étant lacunaire et imprécise, je me devais de lire l’entièreté du cahier composé de 40 folios. J’ai donc établi une méthodologie de travail qui interrogeait le document de la manière suivante : qui en est l’auteur? Où a-t-il été produit? Qui était le destinataire, ce M. de Maneré? Dans quel contexte sociohistorique a-t-il été rédigé? Quelle en est la nature? Enfin, de qui et de quoi est-il question dans le texte?

Mon enquête préliminaire me mena d’abord dans un cul-de-sac quant à l’identification de l’auteur. Pourtant, celui-ci signait ses brouillons de Paris, fréquentait régulièrement le Palais-Royal où siégeait la Régence et semblait graviter autour des plus hautes sphères du pouvoir. Même difficulté concernant le destinataire. Je trouvais cela curieux, car ce dernier semblait exercer de lourdes responsabilités liées à la diplomatie française.

À la relecture, je compris qu’il avait été mal identifié et qu’il s’agissait plutôt de M. de Nancré. Eurêka! Par de nouvelles recherches, je pus documenter la vie de Louis-Jacques-Aimé-Théodore de Dreux, marquis de Nancré (?-1719), diplomate à Madrid à partir de janvier 1718. Protégé du cardinal Guillaume Dubois (1656-1723), le principal ministre d’État sous la régence de Philippe d’Orléans (1674-1723), Nancré avait été chargé par le cardinal de déjouer les ambitions politiques de l’Espagne en Méditerranée à une époque où les alliances étaient changeantes et où elles redessinaient la carte de l’Europe. J’avais enfin (presque) toutes les informations pour ma description et je tenais ma première contribution à la base de données de la collection.

Ma joie fut de courte durée, car je venais de passer quelques jours à essayer de comprendre un seul document sur les plus de 800 que compte la collection… J’eus donc quelques sueurs froides, car si je devais traiter beaucoup d’autres documents de cette envergure, je n’arriverais jamais à respecter les échéances! À mon grand soulagement, j’ai vite constaté que la plupart des pièces n’allaient pas me prendre autant de temps à déchiffrer, que ce soit en raison de leur nature plus transparente ou parce que leur contexte historique m’était plus familier.

HISTOIRE MILITAIRE ET ILLUSTRES PERSONNAGES

Une grande partie de la collection est consacrée à l’histoire militaire de l’époque moderne. Spécialiste de l’histoire sociomilitaire de la Nouvelle-France, c’est avec grand plaisir que j’ai documenté les pièces de cette nature. Je fus particulièrement étonné de constater que nous avions une copie des lettres (C1.3.7) décernant en 1699 le titre de chevalier de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis au Montréalais Pierre Le Moyne d’Iberville et d’Ardillières (1661-1706), le plus célèbre corsaire de l’histoire de la Nouvelle-France. Iberville, figure historique complexe mais fascinante, a été le premier Canadien à appartenir à cet ordre créé en 1693 par Louis XIV, dont la signature figure au bas des documents.

Les documents signés de la main des grands personnages de l’histoire ne manquent pas dans cette collection. On y trouve des reines telles qu’Isabelle 1re de Castille (1451-1504) (E4.3,1.1), des fondateurs comme Paul de Chomedey de Maisonneuve (1612-1676) (C1.7,1.1), des artistes tels qu’Elizabeth Posthuma Gwillim (1762-1850) (C3.8,3.2), d’influentes courtisanes comme Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour et duchesse de Menars (1721-1764) (A2.5,3.2) et des personnages qui se passent de présentation comme Napoléon Bonaparte (1769-1821) (E3.2,1.1). Ce contact direct qu’elle permet avec des personnalités historiques notoires constitue une partie de l’intérêt et du prestige de la collection.

UNE COLLECTION AXÉE SUR LES TOURNANTS DE L'HISTOIRE

L’intérêt de cette collection ne s’arrête cependant pas à ces signatures prestigieuses, car ces documents ouvrent une fenêtre sur de nombreux moments historiques charnières. On pense aux premières années de la fondation de Montréal, aux alliances franco-autochtones, aux guerres qui ont marqué l’Amérique du Nord, aux révolutions française et américaine, aux insurrections des Patriotes, à la révolution industrielle ou encore aux guerres de religion qui ont tant déchiré l’Europe entre le 16e et le 18e siècle. J’ai donc pu découvrir de nouveaux sujets historiques et des événements insoupçonnés.

Par exemple, dans la série Angleterre, on trouve plusieurs tracts protestants datant de la fin des années 1670 visant à discréditer les catholiques de ce pays. Ils sont le produit d’une frénésie anticatholique qui s’était abattue sur le royaume autour d’un soi-disant « complot papiste » : une conspiration inventée de toute pièce par un prêtre anglican qui prétendait que les catholiques préparaient un coup d’État. Comme quoi les fausses nouvelles, ça n’a rien de nouveau!

MYSTÈRE RÉSOLU

Ce mandat a été très enrichissant intellectuellement et très formateur professionnellement. J’ai fait la connaissance de personnes rigoureuses qui m’ont épaulé tout au long de mon mandat et j’ai eu la chance et le privilège de manipuler et d’étudier des documents d’une extrême rareté. Lorsqu’à l’automne 2022, le conservateur des Archives du Musée Mathieu Lapointe a fait appel à mes services pour la révision finale des descriptions et des traductions, j’ai accepté immédiatement. Avec l’aide notamment des archivistes Patricia Prost et Anouk Palvadeau, nous travaillons depuis ce temps à la phase finale de la mise en ligne de la collection. C’est avec un plaisir renouvelé que je me suis replongé dans ces archives.

C’est lors de cette nouvelle phase, des années après mon premier contact avec la collection, que j’ai pu finalement, grâce à de nouvelles recherches, identifier en toute vraisemblance l’auteur des lettres adressées au marquis de Nancré, ce premier document qui m’avait tant donné de fil à retordre. Il s’agit de Charles Mordaunt, 3e comte de Peterborough et 1er comte de Monmouth (1658-1735), un diplomate anglais qui avait séjourné à Paris chez la mère du marquis, l’entremetteuse des intrigues diplomatiques entre le comte de Peterborough et le marquis de Nancré1.

Je pourrais m’étendre encore longtemps sur les nombreux défis et les bijoux que j’ai rencontrés au fil de mes recherches, mais je m’arrête ici pour vous laisser le plaisir de découvrir ces précieuses archives, maintenant intégralement disponibles en ligne. À votre tour d’être subjugué·e·s par ces trésors historiques!

NOTES

1. Émile Bourgeois, La diplomatie secrète au XVIIIe siècle, ses débuts. I. Le Secret du Régent et la politique de l’abbé Dubois (Triple et Quadruple alliance (1716-1718), Paris, Colin, 1909, p. 325.

À propos de l'auteur

Louis Lalancette, doctorant en histoire et médiateur culturel, Musée McCord Stewart

Louis Lalancette, doctorant en histoire et médiateur culturel, Musée McCord Stewart

Louis est médiateur culturel au Musée McCord Stewart depuis 2015. Il fait présentement un doctorat en histoire à l’Université Laval de Québec. Ses recherches portent sur l’histoire sociomilitaire de la Nouvelle-France et plus largement des élites dans le monde atlantique à l’époque moderne. Louis s’investit dans de nombreux projets de recherche et contribue activement à la diffusion de l’histoire par sa participation à des colloques, des publications ou encore des apparitions médiatiques.
Louis est médiateur culturel au Musée McCord Stewart depuis 2015. Il fait présentement un doctorat en histoire à l’Université Laval de Québec. Ses recherches portent sur l’histoire sociomilitaire de la Nouvelle-France et plus largement des élites dans le monde atlantique à l’époque moderne. Louis s’investit dans de nombreux projets de recherche et contribue activement à la diffusion de l’histoire par sa participation à des colloques, des publications ou encore des apparitions médiatiques.