La conservation des sacs à bandoulière : tout le monde sur pause, j’enfile une perle
Des sacs en bandoulière de la collection Cultures autochtones scrutés à la loupe et restaurés avec soin.
3 mai 2020
L’exposition permanente Porter son identité – La collection Premiers Peuples met en vedette de nombreux artefacts tirés de la collection Cultures autochtones. Beaucoup de ceux-ci sont fabriqués dans une combinaison des matériaux organiques, tels le cuir, la fourrure et la laine, et de matières inorganiques comme le métal ou le verre. La fragilité des matériaux qui composent la plupart de ces pièces nous oblige à effectuer chaque année une rotation des objets présentés afin de minimiser les dommages que pourrait causer une surexposition à la lumière ou à d’autres éléments de l’environnement.
En tant que restauratrice au McCord, j’ai eu l’occasion de collaborer à la préparation de ces rotations annuelles. J’ai pu alors travailler à plusieurs versions d’un même type d’objet, ce qui m’a permis d’en étudier les caractéristiques, de comparer les différents matériaux, les choix esthétiques, d’observer les détails techniques de leur assemblage et leur détérioration. Un exemple de ces types d’objets est notre collection de sacs en bandoulière. Ces sacs sont cousus à la main dans des tissus de laine ou de coton et décorés de motifs de perles colorées. Ils témoignent du savoir-faire et du talent des artisanes qui les ont créés.
Les sacs à bandoulière proviennent des peuples de la région des Forêts de l’Est/Grands Lacs et sont inspirés des musettes dans lesquels les soldats européens transportaient leurs munitions. Les versions plus anciennes étaient portées lors de cérémonies et ne comportaient pas de poche. Considérés comme des objets de prestige, ils pouvaient être échangés entre communautés.
La plupart de ces sacs ont été produits du milieu du 19e au milieu du 20e siècle, mais on en fabrique encore aujourd’hui. Cousus dans des étoffes de traite – laine, coton ou velours –, ils sont presque entièrement recouverts d’un mélange de motifs de perles réalisés selon deux techniques : au point et au métier à tisser.
LES TECHNIQUES DE PERLAGE
Le perlage au point ou perlage appliqué consiste à enfiler de petites perles en verre sur un fil puis à les mettre en place. On réalise le motif en fixant le fil directement sur le matériau sous-jacent à l’aide de points de couture effectués à intervalles de trois ou quatre perles. Cette technique convient bien aux formes curvilignes et elle est souvent employée pour la création de motifs floraux.
Le perlage au métier se fait sur un métier à tisser en bois. La technique ressemble à celle du tissage et permet de réaliser des motifs géométriques. L’artisane fixe une série de fils de chaîne parallèles aux extrémités de son métier et enfile ensuite les perles dans la chaîne avec les fils de trame.
TRAITEMENT
Les sacs à bandoulière traités pour cette exposition ont été produits vers les années 1860-1925. Dans la majorité des cas, l’accumulation de poussière avait terni le perlage. Sur certains objets, l’épaisse couche de saleté incrustée donnait au verre coloré des perles une teinte grisâtre. La première étape du nettoyage a donc consisté à utiliser un aspirateur à faible aspiration en protégeant l’objet avec un grillage fin en plastique afin d’éviter de détacher tout matériau affaibli ou perle instable. Ensuite, les perles ont été nettoyées avec des cotons-tiges mouillés de salive (l’ingrédient secret dans la boîte à outils de la restauratrice !), puis rincées avec des cotons-tiges trempés dans de l’eau désionisée. Constater une nette différence entre les perles traitées et non traitées a été très satisfaisant !
La laine peut être attaquée par des insectes tels que les mites. En plus de nuire à l’apparence de l’objet, les trous qu’elles y font peuvent affaiblir le matériau sous-jacent qui retient les perles. On les répare donc en utilisant une pièce de tissu d’une teinte proche de l’original fixée par une couture discrète.
Le coton tout comme les fils qui retiennent les perles ont tendance à jaunir et les fils peuvent être fragilisés par l’oxydation. Comme les motifs de ces sacs sont faits de milliers de perles de verre, ils sont assez lourds, ce qui exerce une tension non seulement sur les coutures de la bandoulière, mais aussi sur les fils de trame et de chaîne du tissu. En conséquence, certains des fils retenant les perles s’étaient rompus; des perles étaient donc détachées ou manquantes. Les vides ainsi créés, très visibles, rendaient les motifs beaucoup plus difficiles à discerner.
En plus de ces considérations esthétiques, fils cassés et perles manquantes compromettaient la structure de ce perlage au métier en entraînant la perte d’autres perles et en mettant plus de pression sur les fils encore intacts. Pour y remédier, des fils de chaîne et de trame de remplacement ainsi que de nouvelles perles ont été intégrés à l’ensemble au moyen d’un fil de soie très mince.
Tout au long du processus, j’ai tracé des diagrammes pour garder la trace des perles et des fils de remplacement au cas où, pour une raison ou une autre, on déciderait plus tard de retirer ce traitement.
Après traitement, les motifs perlés de ces sacs ont retrouvé toute la vivacité de leurs couleurs. Toutes les perles instables sont maintenant fixées et, grâce aux perles de remplacement enfilées dans l’ensemble, on distingue dorénavant beaucoup mieux les motifs géométriques.