De l’art action à l’action sociale
Un portrait de Catherine Boivin, artiste atikamekw et stagiaire au Musée, qui nous parle de sa pratique et de ses ambitions artistiques et sociales.
3 août 2020
La légende raconte l’histoire d’une mère qui perd son enfant. Kwei. Elle le cherche toute sa vie, partout, dans la forêt, dans ses rêves ou dans le regard d’un inconnu. Kwei? Kwei? Un appel qui, repris par d’autres, se transforme en salut. Catherine Boivin me raconte ce récit au téléphone, depuis Odanak, un village abénaquis, près de la rivière Saint-François. C’est la légende atikamekw qui explique l’origine de l’expression Kwei Kwei, qui signifie « bonjour ».
Cette légende-là, elle a un sens très fort pour ma famille et moi, me dit Catherine au bout du fil. Elle me raconte d’autres histoires qui, cette fois, ne sont pas des contes. Enfants disparus, morts ou enlevés. C’est l’inspiration d’une œuvre vidéo intitulée Kwei, d’après la légende du même nom. Ce n’est pas seulement pour mes ancêtres, c’est surtout pour ma mère, ma grand-mère et mes tantes, me confie-t-elle. C’est tellement moins doux qu’une légende.
Catherine Boivin, artiste atikamekw, a grandi dans la communauté autochtone de Wemotaci et étudie au baccalauréat en arts visuels à l’Université du Québec à Montréal. Elle est actuellement stagiaire au Musée McCord dans le cadre du programme CultivART du Conseil des arts de Montréal qui permet à plusieurs musées montréalais d’approfondir leurs liens avec des créateurs autochtones. Depuis le début de l’année, elle travaille avec l’équipe de l’Action éducative, citoyenne et culturelle du Musée pour créer une activité éducative centrée sur les idées de réconciliation et de décolonisation. Le projet de Catherine sera par ailleurs intégré à la nouvelle exposition permanente sur la collection Cultures autochtones que le public pourra découvrir en juin 2021.
Catherine s’inspire d’une initiative ayant vu le jour dans le cadre du 150e anniversaire de la Confédération canadienne en 2017 et qui propose 150 actions visant à inverser le processus de colonisation et d’assimilation, ainsi qu’à réconcilier les Premiers Peuples et les autres habitants du Canada. Cent cinquante actions concrètes, comme acheter un livre écrit par une personne autochtone, illustre Catherine. Celle-ci a vu rapidement le potentiel d’un stage au sein d’un musée d’histoire sociale, sa démarche artistique s’alliant bien avec la vision éducative et participative de l’institution montréalaise.
À travers son travail artistique multidisciplinaire, elle s’intéresse à la relation au corps, à la matière et au matériau. La performance a quelque chose aussi du rituel, pour moi, ajoute-t-elle. Elle définit sa pratique comme Art Action, l’action performance qui a pour but de créer non seulement une œuvre, mais aussi un impact dans la société. Pour faire changer le monde, me dit-elle en riant. Mouvoir et émouvoir. Son art me laisse le sentiment d’une puissance ancrée dans le réel.
Catherine ajoute qu’elle cherche à sublimer la tradition orale et le rapport si précieux de ses ancêtres à la matière, en explorant les thématiques de l’appropriation culturelle et de la réappropriation de l’image. Dans mon travail, je parle aussi de ma perception de moi-même. Parce que se réapproprier son image, ce n’est pas seulement renouer avec la culture de ses ancêtres, c’est aussi s’affirmer en tant qu’individu.
Il n’y a pas un artiste autochtone qui est pareil et qui va créer la même chose.
Lorsque Catherine me confie qu’elle aimerait plus tard être commissaire d’exposition, je comprends mieux l’ampleur et l’ambition de sa démarche. Pour la jeune artiste, ce stage est un peu, finalement, l’occasion d’explorer le principe de l’Art Action à travers un nouveau moyen d’expression : le musée.