James Duncan, Montréal depuis la montagne, avant 1854. Don de David Ross McCord, M315, Musée McCord Stewart

Duncan retrouvé

Découvrez cet artiste présent sur la scène montréalaise pendant la moitié du 19e siècle et qui en a immortalisé des perspectives les plus éloquentes.

Laurier Lacroix, C. M., Professeur émérite Université du Québec à Montréal

5 septembre 2023

Des photographies prises en 1863 présentent l’artiste James Duncan comme un homme de haute stature, avec un visage aux traits réguliers, des yeux clairs, des lèvres charnues figées dans l’esquisse d’un sourire affable. Son origine sociale nous est inconnue. Né en 1806 à Coleraine, en Irlande, a-t-il grandi dans un milieu qui favorise les arts. Sa fille, Jane, révèle qu’il conservait précieusement un carnet de dessins d’après nature réalisés à l’âge de huit ans.1

Quelles raisons le poussèrent à émigrer dans la colonie anglo-canadienne? La crise boursière de 1825, les disettes et mauvaises récoltes qui affligeaient les Irlandais incitèrent-elles le jeune homme à chercher un autre environnement pour faire sa vie? Duncan est le premier artiste britannique à s’installer de manière permanente à Montréal en 1830. Son mariage en 1834 à Caroline Benedict Power (1808–1877), originaire de Sorel, l’enracine. Le couple aura quatre garçons et trois filles.

Les adresses connues de Duncan de 1842 à 1879 indiquent que l’artiste vivait près du Champ-de-Mars, soit sur la rue qui porte ce nom, ou la rue Saint-Louis entre les rues Sanguinet (tronçon aujourd’hui nommé Gosford) et Bonsecours. En 1858–1859, il loue également un atelier au 126, rue Notre-Dame.

Sans vivre richement, Duncan possédait quelques biens, comme en témoigne son inventaire après décès.2 La maison de deux étages qu’il occupait alors à Longueuil est convenablement meublée. Peu d’éléments décoratifs la surchargent. En dépit d’un important inventaire d’œuvres, aucun matériel n’est enregistré, suggérant ainsi que l’artiste de 75 ans n’était plus actif.

UN INCONNU CÉLÈBRE

Aujourd’hui, le nom de James Duncan est peu familier. En contrepartie, certaines de ses œuvres sont bien connues et habitent notre imaginaire lorsqu’il s’agit de visualiser Montréal au 19e siècle. Comment la célébrité de Duncan s’est-elle effacée de la mémoire collective, alors que son œuvre, elle, s’est imposée? La raison principale tient à la réception de son travail à la suite de son décès. Sa production ne correspondait plus à la réalité, alors que les illustrations et la photographie rendaient une image contemporaine et toujours plus adéquate de la cité en développement.

Explorez les photographies de James Duncan sur les Collections en ligne

Les aquarelles de Duncan ont été conservées et appréciées en tant qu’illustrations, comme des documents permettant d’interpréter les changements qui s’opéraient dans le paysage montréalais. Elles ont été prisées par les centres d’archives et les musées d’histoire plutôt que par les musées d’art, plus susceptibles d’accompagner l’œuvre de l’identité de son créateur.

Parce qu’elles ont été reconnues plutôt pour leur sujet que pour leur qualité artistique, les aquarelles de Duncan n’ont pas toujours mis de l’avant la signature de l’artiste. En fait, on ne compte plus le nombre d’articles assortis de reproductions de ses œuvres ne citant pas leur auteur.

C’est grâce à un certain nombre d’amateurs comme Jacques Viger, Anthelme Verreau, David Ross McCord, William Hugh Coverdale, Sigmund Samuel et Peter S. Winkworth que les œuvres de Duncan ont été conservées et intégrées à des collections publiques.

Comme le suggère Christian Vachon, chef à la gestion des collections et conservateur, Art documentaire, Duncan est un précurseur du photoreportage. Ses relations à des événements publics confèrent à son œuvre un caractère authentique et véridique. Cependant, cela serait de réduire son œuvre que de la ramener aux sujets présentés.

UNE IMAGE HARMONIEUSE DE MONTRÉAL

Par ses vues panoramiques, il effectue un travail de miniaturisation de la ville. L’art de Duncan consiste en ce regard condensé, soit de ramener la ville à des proportions permettant de la saisir d’un seul coup d’œil et de faire en sorte que le spectateur la reconnaisse et se l’approprie instantanément. Cette saisie s’appuie sur un rendu minutieux qui invite à découvrir les multiples détails qui accompagnent cette perception et révèlent la richesse que l’artiste y a enfouie.

Duncan contribue à constituer une image harmonieuse de Montréal. Il sait voir ce qui définit la ville, où l’hiver impose un mode de vie singulier, notant les loisirs des classes moyenne et aisée, où les statuts sociaux se côtoient sans interaction. Les femmes et les Autochtones figurent dans des scènes qui mettent surtout en valeur les hommes et les qualités de courage, d’honnêteté et d’endurance. Comme reporter, Duncan choisit l’angle sous lequel il souhaite montrer son sujet. Comme artiste, il maîtrise, par le dessin et la couleur, les moyens de le valoriser et de nous enchanter par son traitement clair et ordonné.

LES ANNÉES 1830 : S’INSCRIRE DANS LE PAYSAGE

Les vues de Montréal s’imposeront comme la marque de commerce de Duncan.  Au lieu de se présenter comme portraitiste, le genre le plus susceptible d’attirer les commandes, Duncan se fait connaître comme paysagiste. La vue de Duncan s’inscrit dans les prémices d’une tradition. La perspective observée depuis le plateau du mont Royal, par temps clair à l’automne, englobe les Montérégiennes, l’île Sainte-Hélène et, sur le plan moyen, la silhouette de la ville.

Son intérêt à chercher des points de vue originaux, on le remarque dans des compositions qui, tout en revisitant le même sujet, en varient les angles et les perspectives. Ainsi, ses vues urbaines toujours reprises offrent mille variations qui occasionnent une surprise, révélant un aspect inédit. Son intérêt de longue date pour le centre-ville se conjugue à celui qu’il porte aux localités qui se développent en bordure du fleuve et vers le nord.

HORS MONTRÉAL ET LES PAYSAGES DU QUÉBEC

Dans sa recherche pour renouveler son approche et l’iconographie de Montréal, Duncan diversifie les points de vue. Il se rend souvent vers l’ouest, pour donner des vues depuis Trafalgar ou de la côte des Rolland, et se rend jusqu’à Lachine, où il prend le moulin à vent comme point de mire de son observation.

Familier de l’île Sainte-Hélène, il traverse le fleuve pour se rendre du côté de Kahnawà:ke, à La Prairie, à Saint-Lambert et à Longueuil.

Une fois sur la rive sud, Montréal devient un centre d’intérêt vers lequel se tourner et plusieurs vues montrent la ville depuis Saint-Lambert, à l’avant-plan bucolique, avec ses prés où paissent quelques vaches.

LES ANNÉES 1870, LENT EFFACEMENT

L’île Sainte-Hélène sert de cadre aux dernières œuvres de l’artiste réalisées en 1878, au moment où l’île devient un parc public après le départ de la garnison.

James Duncan se retire à Longueuil (240, rue Saint-Charles), où il habite chez son fils David Logan, puis chez sa fille Jane. Il décède le 28 septembre 1881.

Les œuvres de Duncan sont absentes des expositions et du marché au cours des décennies suivantes. Ainsi s’efface le nom d’un artiste présent sur la scène montréalaise pendant 50 ans, et qui en a immortalisé certaines des perspectives les plus éloquentes et animées. Sa production a cependant été conservée par des amateurs d’histoire soucieux de préserver les traces visuelles de Montréal au 19e siècle.

Toujours au fait des développements qui caractérisaient sa ville d’adoption, Duncan a célébré et actualisé l’évolution de Montréal pendant près de 50 ans.


 

La version complète de cet essai a été publiée dans James Duncan (1806-1881) – Peintre de Montréal sous la direction de Suzanne Sauvage et Laurier Lacroix.

NOTES

  1. Lettre de Jane Duncan à David Ross McCord, 20 juillet 1906, Archives du Musée McCord Stewart (MMS), Montréal (P001/5023).
  2. Son inventaire après décès dressé par le notaire John O’Hara Baynes (greffe Baynes, BAnQ Vieux-Montréal, acte 6120, 3 et 20 décembre 1881), fait état d’un fonds d’atelier de 116 aquarelles de différents formats, encadrées ou non, estimées entre 1 $ et 25 $, ainsi que de sept huiles. Le total des biens mobiliers s’élève à 784,55 $, avec un compte en banque de 622,19 $.

À propos de l'auteur

Laurier Lacroix, C. M., Professeur émérite Université du Québec à Montréal

Laurier Lacroix, C. M., Professeur émérite Université du Québec à Montréal

Parmi ses réalisations de Laurier Lacroix, notons les expositions consacrées aux peintres Ozias Leduc et Suzor-Coté et l’ouvrage Les arts en Nouvelle-France. Il s’intéresse également à l’art contemporain et a agi, entre autres, comme commissaire dans le cadre d’expositions présentant des œuvres d’Irene F. Whittome, Marc Garneau, Pierre Dorion, Guy Pellerin, Robert Wolfe, Micheline Beauchemin et Lisette Lemieux. Laurier Lacroix est lauréat du Prix Carrière de la Société des musées du Québec ainsi que du prix Gérard-Morisset ainsi que membre de la Société des Dix et de l’Académie des lettres du Québec.
Parmi ses réalisations de Laurier Lacroix, notons les expositions consacrées aux peintres Ozias Leduc et Suzor-Coté et l’ouvrage Les arts en Nouvelle-France. Il s’intéresse également à l’art contemporain et a agi, entre autres, comme commissaire dans le cadre d’expositions présentant des œuvres d’Irene F. Whittome, Marc Garneau, Pierre Dorion, Guy Pellerin, Robert Wolfe, Micheline Beauchemin et Lisette Lemieux. Laurier Lacroix est lauréat du Prix Carrière de la Société des musées du Québec ainsi que du prix Gérard-Morisset ainsi que membre de la Société des Dix et de l’Académie des lettres du Québec.