Edith H. Mather, Photographe de rue de Montréal
Découvrez Edith H. Mather, une photographe qui a documenté l’évolution du paysage urbain de Montréal à un moment charnière de son histoire.
En 2012, le Musée a acquis un important corpus d’œuvres de la photographe Edith H. Mather. Comprenant 4 293 photographies prises à Montréal entre 1965 et 1985, le fonds documente les rues et l’architecture de la ville durant une période de changement accéléré.
Bien que la contribution de Mather à l’histoire de la photographie à Montréal ait été reconnue1 , elle reste largement méconnue à l’extérieur de la sphère universitaire. Ne bénéficiant d’aucun soutien institutionnel ou financier pour poursuivre son art, Mather a pratiqué la photographie en amateur, pour elle-même.
Le fait d’avoir exercé la photographie dans une relative obscurité n’a pas empêché Mather de mener à bien un projet documentaire soutenu, rigoureux et très personnel visant à témoigner de la transformation de l’environnement bâti de Montréal à un moment crucial de son évolution. Un aspect important de ce projet est la forme qu’il prend : Mather a rassemblé ses photographies dans trois séries d’albums, chacune étant méticuleusement organisée et annotée. De toute évidence sensible à la valeur historique du fruit de son travail, elle a pris grand soin de rendre le matériel brut intelligible pour la postérité.
VIE ET TRAVAIL
Née à Montréal en 1925, Edith H. Mather a grandi dans le quartier de Hampstead. Adulte, elle a vécu principalement au centre-ville et dans le secteur ouest de la ville. L’essentiel de son œuvre photographique a été produit dans les années 1960 et 1970, lorsqu’elle habitait à l’intersection de l’avenue Greene et de la rue Sainte-Catherine, à Westmount. Bien qu’elle ait été initiée au médium à l’adolescence, Mather était dans la quarantaine lorsqu’elle a commencé à pratiquer la photographie de façon assidue.
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Cette période coïncidait avec la naissance de son quatrième enfant, Geoffrey, qu’elle a eu avec son second mari, le poète Bryan McCarthy. Mather photographiait les rues de Montréal, autour et à l’extérieur de son quartier, tout en promenant son fils dans son landau. Plus tard, elle dira : « J’aimais marcher, et j’avais ce besoin de prendre des photos, c’est tout. Je devais aller promener le bébé, et je poursuivais simplement mon chemin. »2 Si au départ, son envie de photographier était étroitement liée à ses tâches domestiques quotidiennes (aider le bébé à s’endormir, prendre le grand air), elle a commencé graduellement à alimenter un projet en soi, mené de manière systématique.
UNE FORME DE PHOTOGRAPHIE DE RUE
Mather a beaucoup en commun avec les nombreux photographes de rue qui ont aspiré à documenter, pour diverses raisons, les particularités du tissu urbain de Montréal. Les photographes de rue sont habituellement des êtres obsessionnels qui battent le pavé de façon continue et répétée, retournant souvent sur certains sites afin d’y découvrir de nouvelles choses ou de documenter les changements qui s’y sont produits. Mather, témoin des grands chantiers de démolition et de construction qui transformaient le paysage architectural de Montréal, s’est employée à photographier les parties de la ville qui étaient en train de disparaître.
LE MONTRÉAL DE MATHER
Intitulée « My City, Montreal », la première série d’albums contient le plus grand nombre de vues générales de rues. Prises principalement au cœur du centre-ville, elles représentent aussi d’autres quartiers, dont Westmount, Saint-Henri, Milton-Parc, le Plateau-Mont-Royal et le Vieux-Montréal.
Composée de 1 012 épreuves montées dans 16 cartables, la série n’est pas organisée par ordre chronologique mais – plutôt librement – par sujet3 . À la fin de chaque cartable, un index manuscrit répertorie chaque épreuve selon le numéro du négatif, la rue représentée et la date de la photographie. Des adresses précises ou des coins de rue sont indiqués dans la mesure du possible. Développée par Mather dans sa chambre noire à la maison, chaque photographie offre un regard unique sur l’environnement bâti, tel qu’elle l’a observé.
Elle était particulièrement captivée par les détails de l’architecture vernaculaire victorienne qui ornaient alors de nombreux bâtiments de Montréal. Habituellement inspirés de styles architecturaux grandioses plus anciens, de tels éléments décoratifs pouvaient donner à des bâtiments relativement modestes un aspect plus « fantaisiste ». En 1977, en collaboration avec l’auteur René Chicoine, elle a publié un livre bilingue sur l’architecture montréalaise intitulé Les rues de Montréal. Façades et fantaisie4.
Les photographies de Mather mettent l’accent sur ces fragments architecturaux du point de vue d’une personne circulant à pied, les juxtaposant souvent aux nouvelles constructions, généralement beaucoup plus imposantes, en train d’être érigées.
Son regard était aussi attiré par les signes d’une vie commerciale locale qui étaient en train de disparaître petit à petit, remplacés en grande partie par des façades ou des symboles anonymes de la culture d’entreprise mondiale. Les scènes de démolition sont récurrentes dans les albums, souvent contextualisées par les bâtiments adjacents toujours debout.
TRAVAIL D'ARCHIVAGE
Bien qu’il semble que Mather ait cessé de photographier les rues de Montréal au milieu des années 1980, le travail qu’elle a réalisé durant ses deux décennies de création prolifiques a servi de transition vers la phase d’archivage de sa carrière. En 1985, elle a obtenu un diplôme en bibliothéconomie de l’Université Concordia, où elle a travaillé ensuite comme bibliothécaire et restauratrice de livres pendant 25 ans5.
Lorsque, octogénaire, elle a pris sa retraite, elle a commencé à préparer ses séries photographiques en vue d’en faire don. Il s’agissait d’une tâche considérable qui consistait non seulement à peaufiner et indexer les albums, mais également à jumeler chaque épreuve avec son négatif correspondant. Edith Mather est décédée en 2016, quatre ans après avoir légué cette œuvre photographique majeure au Musée.
Notes
- Voir surtout Tanya Southcott, « Through the Lens of Edith Mather: Photographing Demolition and the Transforming City » dans Martha Langford et Johanne Sloan (dir.), Photogenic Montreal: Activisms and Archives in a Post-industrial City, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2021, p. 80-99; et Tanya Southcott, « Architecture, Photography and Memory: The Collection of Edith Mather » dans Joanne Burgess, Cynthia Cooper, Céline Widmer et Natasha Zwarich (dir.), À la recherche du savoir : nouveaux échanges sur les collections du Musée McCord/Collecting Knowledge: New Dialogues on McCord Museum Collections, Montréal, Éditions Multimondes, 2016, collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM, p. 193-210.
- Edith Mather, citée dans Southcott, « Architecture, Photography and Memory », p. 201.
- Les épreuves photographiques, mesurant chacune environ 20,3 x 25,4 cm, sont accompagnées de 933 négatifs, en formats moyen et 35 mm. Les deux autres séries du fonds, intitulées « Found Montreal » (1979-1980) et « Koncrete Kids » (1976-1985), sont aussi organisées par thème, et présentent principalement des détails architecturaux. Voir Musée McCord Stewart, M2012.113.1.1-16; M2012.113.2.1-13; et M2012.113.3.1-2.
- Voir Edith Mather et René Chicoine, Les rues de Montréal. Façades et fantaisie/Touches of Fantasy on Montreal Streets, Montréal, Tundra Books, 1977.
- Southcott, « Architecture, Photography and Memory », p. 208.