Photographe inconnu, Alice Johannsen Turnham montant l'escalier avec un graphoscope, Montréal, 1954. MP-0000.20.6, Musée McCord

Ces héros qui ont contribué à la survie du Musée McCord (Partie I)

Découvrez comment le McCord, fermé deux fois dans les deux dernières années, a déjà survécu à une fermeture de plus de 20 ans!

Heather McNabb, Ph. D., archiviste de référence, Centre d’archives et de documentation, Musée McCord

24 mars 2022

Lorsque la pandémie a forcé la fermeture du Musée McCord – deux fois plutôt qu’une –, notre personnel a relevé le défi de le rendre accessible en ligne, en organisant des vernissages, des visites d’expositions et des collectes de fonds en mode virtuel. Cependant, ce n’était pas la première fois dans son histoire que le Musée se voyait contraint de fermer ses portes au public!

Lundi, 1er juin 1936. Les stores sont baissés au McCord National Museum, situé à l’angle sud-ouest du campus de l’Université McGill1. Sur la porte, une affichette blanche indique « fermé »2.

Wm. Notman & Son, La résidence de Jesse Joseph, « Dilcoosha », Montréal, 1913. VIEW-12878, Musée McCord

Après sept années de crise économique, la Grande Dépression avait fait des ravages. Les institutions éducatives et culturelles, les entreprises commerciales et les individus, tous avaient subi de lourdes pertes financières. L’Université McGill ne faisait pas exception, et ses dirigeants cherchaient par tous les moyens à réduire les coûts. Le 29 mai, le conseil des gouverneurs annonçait la fermeture temporaire du Musée McCord au public, et le 31 mai, il procédait à la mise à pied de Dorothy Warren, qui s’occupait des affaires quotidiennes du Musée.

Des membres du public ont envoyé des lettres de protestation aux éditeurs des journaux locaux, alors que d’autres ont signifié leur appui au Musée McCord en donnant des objets. Le Comité des musées universitaires a officiellement exprimé son désaccord avec la décision, consignant les lettres de protestation qu’il avait reçues. Cependant, McGill est restée campée sur ses positions, et la fermeture s’est prolongée durant des mois, des années, voire des décennies. Malgré tout, les membres du personnel ont continué à déployer des efforts extraordinaires pour promouvoir le Musée McCord.

UN COUP DE POUCE DE HENRY MORGAN & COMPANY

E. Lionel Judah (1880-1967), conservateur du Musée d’ethnologie de McGill et secrétaire du Comité des musées universitaires est devenu le secrétaire par intérim du Musée McCord et le premier membre du personnel à s’attaquer au défi que posait la fermeture du Musée. Judah pouvait compter sur l’aide d’un membre de longue date du Comité, Frederick Cleveland Morgan (1881-1962)3. Passionné des arts, Morgan était responsable des étalages, des événements spéciaux et des rayons dédiés aux antiquités et aux objets d’art chez Henry Morgan & Co. (aujourd’hui La Baie), le grand magasin appartenant à sa famille. Il a fusionné ses deux intérêts en proposant des événements et des expositions qui incluaient des objets du Musée McCord4.

À l’été 1938, le magasin Morgan du centre-ville exposa quelques artefacts du Musée McCord pour la première fois depuis la fermeture de ce dernier deux ans auparavant5. Une annonce pleine page publiée dans The Gazette invitait les lecteurs à venir voir au magasin, durant toute la semaine, une exposition d’artisanat autochtone, dont des « pièces muséales fabriquées il y a longtemps » par des Autochtones « résidant dans chaque province du Dominion »6. Le Musée McCord figurait en deuxième place sur la liste des institutions remerciées pour leur contribution.

Il ne fait aucun doute que cet événement spécial et la publicité qui l’entourait ont été profitables non seulement pour le magasin, qui disposait d’un nouvel attrait pour sa clientèle, mais également pour le McCord, qui a obtenu de la visibilité.

Artiste inconnu, Les boutiques du centre-ville de Montréal, publié par Henry Morgan & Company, Ltd., vers 1935. M994X.5.271.35, Musée McCord

DE LA VISIBILITÉ, MAIS PEU DE PUBLICITÉ

Il est arrivé en d’autres occasions que Judah prête des objets de la collection du Musée McCord au magasin Morgan et à d’autres établissements, mais le Musée n’a pas toujours obtenu une reconnaissance à cet effet dans la presse. Ainsi, aucune mention publique n’a été retrouvée concernant les 32 dessins d’Henri Julien prêtés à la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) en 1938 pour une exposition itinérante7.

Cette même année, le magasin Morgan a organisé une deuxième exposition dans son auditorium du cinquième étage. Il s’agissait cette fois de pièces de mobilier canadien-français, incluant un certain nombre d’objets du Musée, dont un lustre du 17e siècle et un portrait de William McGillivray et de sa famille. Cependant, seule l’Université McGill fut créditée dans les journaux.

William Berczy, William McGillivray et sa famille, 1806. M18683, Musée McCord
Photographe inconnu, Exposition de mobilier Henry Morgan & Company incluant des objets de la collection du Musée McCord, 1938. M18795.1, Musée McCord
On peut voir le portrait de William McGillivray et sa famille sur le mur de droite.

De santé fragile et approchant de la retraite, Lionel Judah semble avoir fait de son mieux pour promouvoir et favoriser les intérêts du Musée dans des circonstances difficiles. L’un de ses gestes les plus importants fut assurément de prendre sous son aile une jeune et dynamique élève de McGill qui avait un grand intérêt pour les musées.

UN NOUVEAU MEMBRE DANS L’ÉQUIPE

C’est à l’automne 1939 qu’Alice Johannsen (1911-1992), diplômée en géologie de McGill, a commencé à travailler pour les Musées de l’Université McGill. Grâce au mentorat de Judah, après avoir obtenu son diplôme, Johannsen avait été admise au programme de stage du Newark Museum dans le New Jersey. Par la suite, elle avait obtenu une bourse pour suivre une formation muséale à la Galerie nationale du Canada8. De retour à Montréal, elle fut rapidement nommée conservatrice adjointe à temps plein au Musée Redpath. Elle devait cependant se rendre régulièrement au Musée McCord afin de remplacer Judah alors en congé de maladie.

DES RETARDS DUS À LA GUERRE

Si la Grande Dépression avait été difficile, le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale n’a pas aidé les choses pour le Musée McCord. Au début de l’année 1942, avec l’aide de deux personnes, Johannsen a passé trois mois à nettoyer le Musée de fond en comble, dans l’espoir de pouvoir rouvrir à l’été durant les célébrations du tricentenaire de Montréal. Si ses plans ont été contrecarrés, elle a néanmoins profité de l’occasion pour examiner les collections et dresser une liste des objets de valeur à transporter dans un « abri à l’épreuve des bombes » dans le Pavillon médical Strathcona en cas de raids aériens9.

Wm. Notman & Son, Le pavillon de médecine de l’Université McGill, avenue des Pins, Montréal, probablement 1911. VIEW-4891.0, Musée McCord

Jusqu’à la fin de la décennie, Johannsen s’est efforcée de garder les collections du Musée McCord dans l’œil du public en organisant des prêts pour des expositions – de petite et de grande envergure – allant de quelques artefacts historiques exposés à la Bibliothèque de McGill, tout près du Musée, à des collaborations plus importantes. En 1947, une exposition de vêtements, d’outils et d’objets cérémoniaux de peuples autochtones du Canada, présentée à l’Art Association of Montreal (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal) en collaboration avec la section québécoise de la Canadian Handicrafts Guild, incluait 30 objets du Musée McCord.

Ceinture tissée à la main, Kanien’kehá:ka?, vers 1765. Don de Robert W. Reford, M8486, Musée McCord
Modèle réduit de canot, Mi’gmaq, 1900-1913. Don de David Ross McCord, M133, Musée McCord
Étui à mouchoirs, Mi’gmaq, 1840-1860. Don de David Ross McCord, M188, Musée McCord
Étui, Huron-Wendat, 1820-1857. Don des Messieurs Papineau, M10614, Musée McCord

L’ESPOIR D’UN NOUVEAU BÂTIMENT POUR LE MUSÉE UNIVERSITAIRE

Johannsen a également défendu la cause du Musée McCord auprès des autorités de l’Université McGill. Au fil des ans, elle et T. H. Clark (1893-1996), directeur des Musées de l’Université McGill, ont lancé des appels à l’Université dans leurs rapports annuels et leurs communications. Ils espéraient convaincre McGill d’aller de l’avant avec une recommandation faite dans un rapport de 1932 au sujet des Musées de l’Université McGill, soit de réunir la majorité des collections sous le toit d’un tout nouveau bâtiment.

D’autres plans proposaient de rénover et d’agrandir le Musée Redpath pour pouvoir y exposer en permanence les collections du Musée McCord et du Musée d’ethnologie. Johannsen a également accordé des entrevues à The McGill Daily et rédigé des articles pour The McGill News, soulignant la valeur éducative des Musées de l’Université en général et l’importance de rendre les collections du Musée McCord de nouveau accessibles au public.

RETOUR EN FORCE POUR LE MUSÉE McCORD

La persévérance de Johannsen, conjuguée à la prospérité d’après-guerre, est peut-être ce qui a fini par convaincre McGill de délier les cordons de sa bourse et d’embaucher une aide à temps partiel pour le Musée McCord. Gilbert Ferrabee (1913-1997), professeur d’histoire dans une école secondaire de Montréal et étudiant à la maîtrise à McGill, fut en mesure d’organiser un plus grand nombre d’expositions historiques présentant des objets du Musée McCord à la Bibliothèque de McGill et au Musée Redpath.

La nouvelle visibilité du McCord a entraîné une augmentation des demandes au sujet de ses collections. En 1948, Johannsen notait que le personnel du Redpath consacrait presque la moitié de son temps au Musée McCord10. En 1953, il y avait des « demandes quasi quotidiennes pour la consultation de dossiers, le prêt de spécimens et l’organisation d’expositions11 ». Un an plus tard, Johannsen réussissait à convaincre McGill d’embaucher un conservateur à temps plein pour le McCord.

En 1956, le McCord attirait les regards sur lui en effectuant une acquisition majeure : la collection des archives du studio de photographie de Montréal de William Notman & Son. Grâce entre autres au travail d’Alice Johannsen, des centaines de milliers de négatifs et de tirages datant du 19e et du début du 20e siècle sont entrés au Musée, une acquisition qui fit parler d’elle d’un bout à l’autre du Canada lorsque le magazine Maclean’s publia une série d’articles illustrés portant sur « le fabuleux Monsieur Notman » et ses photographies.

Professor Eric Counsell, Le Musée McCord dans la maison Hodgson, Montréal, vers 1960. Don de Professor Eric Counsell, MP-0000.1594.1.1, Musée McCord

En 1960, le Musée McCord réussit à ouvrir une petite salle d’exposition dans ses quartiers exigus de la maison Hodgson, pour fermer de nouveau ses portes quelques années plus tard dans l’attente d’un déménagement dans l’ancien pavillon de l’association étudiante de McGill situé au 690, rue Sherbrooke Ouest. En 1971, le Musée fut enfin en mesure d’accueillir le public dans un bâtiment nouvellement rénové, grâce aux efforts incessants de la directrice Isabel Dobell, en poste depuis 1955, pour recueillir des fonds.

Mais ça, c’est une autre histoire12!

NOTES

1. À cette époque, le McCord National Museum était l’un des quatre musées de l’Université McGill. Les trois autres étaient le Musée Peter Redpath, le Musée d’ethnologie et le Musée de la Bibliothèque. McGill possédait également d’autres collections spécialisées. Université McGill, Calendar for the Session 1937-1938, Montréal, imprimé pour l’Université par Gazette Print. Co., 1937, p. 491.

2. The Gazette, samedi 30 mai 1936, p. 7.

3. F. C. Morgan est devenu membre du Comité de direction du Musée McCord dès le mois de novembre 1921.

4. Il faisait également partie du conseil d’administration de Henry Morgan & Company. David Morgan dresse la liste des différentes fonctions exercées par Morgan au grand magasin dans son livre intitulé The Morgans of Montreal, Toronto, publication privée, 1992, p. 140. Grandement impliqué dans le monde des arts à Montréal, Morgan s’intéressait particulièrement aux musées et aux arts décoratifs. Membre de l’Art Association of Montreal à compter de 1907, il fut nommé président de son nouveau musée, fondé en décembre 1916. Morgan était également membre de l’Arts Club et de la Canadian Handicrafts Guild, occupant le poste de président de la guilde de 1918 à 1925.

5. D’autres objets avaient cependant fait l’objet de prêts. Par exemple, une grande collection de timbres appartenant au Musée avait été exposée à la Bibliothèque de McGill en 1937.

6. The Gazette, mercredi 22 juin 1938, p. 24.

7. Dessins d’Henri Julien de la collection du McCord choisis pour l’exposition de la Galerie nationale, Ottawa, 14 février 1938, I001P/134, dossier 7758.

8. Judah lui a obtenu une bourse d’études pour le programme de Newark et l’a aidée à présenter une demande à la Carnegie Corporation pour suivre la formation à la Galerie nationale. Alice Johannsen, « As the Twig is Bent », dans Margaret Gillett et Kay Sibbald (dir.), A Fair Shake: Autobiographical Essays by McGill Women, Montréal, Eden Press, 1984, p. 114-115.

9. D’autres petits objets de valeur ont été déposés dans la chambre forte du sous-sol de la maison Joseph qui, disait-on, pouvait résister à 36 heures de chaleur extrême. Musée McCord, Annual Report 1941-1942, p. x et Musée McCord, Annual Report 1942-1943, p. 7; Archives de l’Université McGill RG41, conteneur 11.

10. Musées de l’Université McGill, Annual Report 1947-1948, p. 4.

11. Musées de l’Université McGill, Annual Report 1952-1953, p. x.

12. Voir Isabel Dobell, « Buried Treasure », dans Gillett et Sibbald (dir.), A Fair Shake, p. 136-146.

À propos de l'auteure

Heather McNabb, Ph. D., archiviste de référence, Centre d’archives et de documentation, Musée McCord

Heather McNabb, Ph. D., archiviste de référence, Centre d’archives et de documentation, Musée McCord

Mettre au jour les histoires que peuvent receler les photographies est une véritable passion pour Heather, qui trouve tout aussi inspirant d’aider les chercheurs au Centre d’archives et de documentation. Elle est fascinée par les découvertes au sujet des gens, des lieux et des événements du passé qu’amène la consultation des collections du Musée.
Mettre au jour les histoires que peuvent receler les photographies est une véritable passion pour Heather, qui trouve tout aussi inspirant d’aider les chercheurs au Centre d’archives et de documentation. Elle est fascinée par les découvertes au sujet des gens, des lieux et des événements du passé qu’amène la consultation des collections du Musée.