Ces héros qui ont contribué à la survie du Musée McCord (Partie II)
Découvrez les liens entre le Musée McCord et la famille Stewart, et le rôle d’Isabel Dobell, la femme qui a réuni les deux!
26 septembre 2022
Le Musée McCord a annoncé récemment que l’institution porterait désormais le nom de Musée McCord Stewart. Ce changement a été fait en l’honneur de David M. Stewart, fondateur du Musée Stewart, et de sa femme Liliane, qui en a longtemps présidé le conseil d’administration. Bien que les deux musées aient fusionné en 2013, ce n’est que depuis peu que les collections du Stewart ont été intégrées à celles du McCord à la suite de la fermeture du musée de l’île Sainte-Hélène en 2021. En fait, les liens qui unissent le Musée McCord à la famille Stewart remontent à plus de six décennies, à l’époque où le Musée avait désespérément besoin d’un nouveau foyer permanent.
LE McGILL UNION AU 690, RUE SHERBROOKE OUEST
C’est à l’automne 1906 que l’actuel bâtiment du Musée McCord Stewart situé au 690, rue Sherbrooke Ouest a ouvert ses portes comme lieu de rassemblement pour les étudiants de McGill. Conçu par Percy Nobbs (1875-1964), professeur d’architecture à McGill, le bâtiment d’origine, connu sous le nom de McGill Union1, était alors beaucoup plus petit qu’il ne l’est aujourd’hui. D’une superficie de 28 mètres de large par seulement 22 mètres de profondeur, son mur arrière se terminait juste derrière l’emplacement actuel du mât totémique.
Les étudiants qui entraient par la rue Sherbrooke pouvaient obtenir un repas à coût modique dans la salle à manger située à leur droite, où se trouve maintenant la Boutique du Musée. Des bureaux et une petite cafétéria se trouvaient à gauche. En 1912, il y avait également à droite un petit magasin de cigares, plus tard appelé le « tuck shop ».
Le McGill Union offrait aux étudiants un espace pour socialiser et bâtir un esprit de corps qui transcendait les divisions entre les différentes facultés. Ainsi, un vaste salon occupait le premier étage du bâtiment dans toute sa largeur, du côté de la rue Sherbrooke. Lorsque le temps était frisquet, des foyers apportaient une douce chaleur. Il y en avait un à chaque extrémité de la salle, où ils se trouvent d’ailleurs toujours, dissimulés derrière les murs de l’espace d’exposition!
Cinq fenêtres, dont deux grandes fenêtres en baie, faisaient entrer la lumière dans la salle qui donnait sur le campus de McGill et sur le mont Royal. Les étudiants pouvaient jouer au billard dans le coin sud-est derrière le salon, alors que ceux qui préféraient des passe-temps plus tranquilles pouvaient lire des journaux et des magazines ou encore étudier dans le coin sud-ouest.
Une grande salle de conférences occupait presque entièrement le deuxième étage, où il y avait aussi une salle de musique. Le sous-sol, correspondant aujourd’hui au niveau de la rue Victoria, comprenait le logement du gardien dans le coin nord-ouest, là où se situe la Salle éducative Canada Vie. La cuisine qui approvisionnait la salle à manger était là où se trouvent maintenant le corridor et un espace de travail de l’Action éducative, citoyenne et culturelle. Dans le côté est du sous-sol, il y avait des bureaux, des vestiaires, des salles de bain et une salle d’exercice.
Ce sont deux membres du New England Graduates’ Society de McGill qui ont lancé le projet du McGill Union en 1903, lorsqu’ils ont proposé la construction d’un club pour étudiants2. Chacun a offert d’y contribuer à hauteur de 5 000 $, à la condition qu’une somme d’au moins 65 000 $ soit recueillie par d’autres diplômés de l’Université. Le projet a réellement pris son essor lorsque Sir William Macdonald (1831-1917), le « roi du tabac » à Montréal et un généreux bienfaiteur de l’Université McGill, a fait un don de 100 000 $ pour couvrir le coût du bâtiment et de son ameublement3.
Le concept de club social pour étudiants du McGill Union s’inspirait d’autres associations étudiantes créées dans des universités américaines et britanniques. Selon des journaux étudiants, au moins deux autres clubs – dont l’existence fut brève – ont été fondés au 19e siècle à l’intention des étudiants de McGill4.
Selon le calendrier des élèves de McGill de 1907-1908 : « L’adhésion à l’association est ouverte à tous les étudiants de l’Université, sans exception, sur versement d’une cotisation annuelle de 5,00 $. » Malheureusement, au début, seuls les élèves masculins pouvaient profiter des bienfaits de « loisirs intellectuels et d’activités sociales » et « bénéficier de la forme la plus élevée et authentique de camaraderie étudiante »5. Même aussi tard qu’en 1955, on pouvait lire ce qui suit dans l’album de finissants Old McGill : « Tous les élèves masculins de l’Université profitent de l’ensemble des privilèges de l’association. Les membres de l’association féminine ont des privilèges limités. »
Malgré les restrictions relatives à l’adhésion, un tourbillon d’activités parascolaires égayait le McGill Union chaque semestre, dont plusieurs acceptaient les femmes. Un grand nombre de sociétés, de comités et de clubs y tenaient régulièrement leurs réunions. Des événements spéciaux comme des danses, des débats, des parlements étudiants et des thés jazz attiraient les élèves masculins et féminins en 19306.
ISABEL DOBELL ET LE MUSÉE McCORD
Rien ne distingue Isabel Marian Barclay (1909-1998) des autres diplômés de l’album de finissants Old McGill de 1930. Toutefois, l’étudiante qui a excellé en Histoire et en Anglais allait plus tard jouer un rôle capital dans la destinée du Musée MCord.
L’album de finissants décrit la personnalité dynamique d’Isabel, « toujours à la course » à la poursuite de son diplôme, espérant arriver à l’heure « quelque part, en quelque sorte, un de ces jours, pour quelque chose ». On peut deviner son énergie et sa détermination dans un portrait que le photographe Notman a pris d’elle lorsqu’elle avait 18 ans, en 1927.
Son dévouement profond envers le Musée McCord a pu fort bien être éveillé par son professeur d’histoire, W. T. Waugh (1884-1932), qui présidait le Département d’histoire en 1930. Durant la dernière année d’études d’Isabel, il lui a dit : « Si jamais vous voulez faire quelque chose pour McGill, essayez de voir ce que vous pourriez faire pour le McCord7. » Il semble bien qu’Isabel Barclay, future Mme Isabel Dobell, ait pris ce conseil à cœur.
Transportons-nous 25 ans plus tard, à l’automne 1955. Le bâtiment de l’association étudiante était plus animé que jamais avec la croissance d’après-guerre de l’Université, et le manque d’espace était souvent critiqué dans le McGill Daily. Les collections du Musée McCord, fermé au public depuis 1936, avaient été entreposées temporairement dans la maison A. A. Hodgson de la rue Drummond. Isabel Dobell venait tout juste d’être embauchée pour en faire l’inventaire, un travail qu’elle a plus tard qualifié d’« ennuyant », où le numéro d’accession sur chaque objet devait être vérifié contre l’écriture dans le registre pour s’assurer qu’il avait été entreposé au bon endroit. Sa tâche fastidieuse était toutefois allégée par la « joie de découvrir des trésors historiques cachés » dans la vaste collection du Musée8.
LA FAMILLE STEWART À LA RESCOUSSE DU MUSÉE McCORD
Ayant constaté durant l’inventaire que de nombreux objets du McCord avaient besoin d’être restaurés et préservés, et sachant qu’il y avait peu de chances d’obtenir suffisamment de fonds de l’Université McGill, Dobell a décidé de prendre les choses en main. Elle a contacté Walter M. Stewart (1882-1968), propriétaire de la Macdonald Tobacco et père de son amie Beatrice (1909-2008)9. Walter Stewart et son frère avaient hérité de la manufacture de tabac à la mort de Sir William Macdonald en 1917. Leur père, David Stewart (1846-1917), avait été l’associé de longue date de William Macdonald à la compagnie où il s’occupait des affaires courantes, et les fils avaient joint l’entreprise à leur tour.
On a dit de Walter M. Stewart qu’il était « …l’un des philanthropes les plus généreux de cette communauté et probablement le moins connu ». Il préférait donner sous le couvert d’un « anonymat bienveillant »10. La première demande de financement d’Isabel Dobell fut acceptée, et d’autres encore lorsque Walter Stewart et son épouse Mary Beatrice (1883-1971) mirent discrètement des fonds à la disposition du Musée McCord au cours des années suivantes pour différents projets de restauration, l’embauche de nouveaux employés et la formation du personnel11.
Pendant ce temps, Isabel Dobell avait gravi les échelons du McCord, devenant conservatrice des estampes et des manuscrits, puis conservatrice en chef et archiviste et enfin, directrice du Musée. Selon la catalogueure principale aujourd’hui retraitée Nora Hague, embauchée en 1969, Dobell affrontait l’administration « majoritairement masculine » de McGill avec « intelligence, stratégie et aplomb ». Parmi les membres du personnel, se souvient Nora, « Il n’y avait aucun doute à savoir qui était aux commandes : c’était Mme Dobell. Elle prenait le pouls du McCord et absolument rien ne lui échappait. »
À la fin des années 1950, le bâtiment vieillissant et exigu de l’association étudiante de McGill étant sur le point d’être remplacé par un nouveau centre universitaire sur la rue McTavish (aujourd’hui connu sous le nom de William Shatner University Centre), il fut proposé d’y accueillir le Musée McCord. Isabel Dobell croyait que l’idée de convertir le bâtiment commandé à l’origine par Sir William Macdonald en espace pour le McCord pourrait plaire à M. Stewart. Lui et son épouse sont effectivement devenus de généreux donateurs anonymes pour les travaux de rénovation majeurs qui se sont échelonnés de 1966 à 196812. Ainsi, la petite mezzanine du 2e étage fut prolongée pour occuper presque entièrement l’ancienne salle de bal, des réserves ont été construites et l’arrière du bâtiment fut agrandi pour recevoir un monte-charge, des toilettes et un escalier supplémentaire.
Une fois les rénovations terminées, les collections du Musée McCord furent transportées dans leur nouveau foyer et le personnel a commencé à planifier en détail les expositions d’ouverture. C’est alors que le Musée a essuyé un sérieux revers. À l’automne 1970, McGill annonçait que l’ouverture prévue du Musée McCord au public en 1971 n’aurait pas lieu en raison d’un manque de fonds dans l’ensemble de l’Université. Découragée, mais déterminée, Isabel Dobell a fait appel une fois de plus à la famille Stewart, lui demandant de donner au Musée suffisamment d’argent pour lui permettre d’ouvrir une journée par semaine pendant un an, gagnant ainsi suffisamment de temps pour solliciter du financement auprès d’autres sources et « donner au public la chance de découvrir ce que le McCord a à offrir13 ». Mme Walter M. Stewart et sa fille Beatrice Molson sont généreusement venues à la rescousse, permettant au Musée McCord d’ouvrir ses portes comme prévu.
Il est fort à-propos que le Musée McCord, enrichi des vastes collections du Musée Stewart et bénéficiaire de longue date de la générosité des membres de la famille Stewart, porte désormais le nom de Musée McCord Stewart.
NOTES
1. Lors des étapes de la planification et de la construction, le bâtiment était souvent désigné comme le « McGill Students’ Union » dans The Montreal Star et The Gazette. Au moment de son ouverture officielle en 1907, son appellation avait été réduite à « McGill Union », ou encore simplement le « Union » dans les publications de l’Université McGill.
2. McGill Outlook, 10 mars 1903; The Montreal Star, samedi 9 février 1907, p. 15.
3. Calendrier annuel du McGill College and University, 1907-1908, p. 241. Selon un article publié dans The Gazette du 17 février 1905, Sir William Macdonald a également fait don du terrain et d’une somme additionnelle de 35 000 $ au projet. Macdonald n’était pas un diplômé de McGill, mais c’était un généreux bienfaiteur de l’Université à laquelle il a donné plus de 13 millions de dollars de son vivant. Stanley Brice Frost et Robert H. Michel, « Sir William Christopher Macdonald », Dictionnaire biographique du Canada, vol. XIV (1911-1920).
4. Voir McGill University Gazette, vol. 9, no 5, 9 décembre 1885, p. 12, et McGill Fortnightly, 5 février 1896, p. 1.
5. The McGill Daily, vol. 01, no 01, 26 octobre 1911.
6. Album de finissants Old McGill, 1930, p. 204.
7. Isabel Dobell, « Buried Treasure » dans Margaret Gillett et Kay Sibbald (dir.), A Fair Shake, p. 139.
8. « Buried Treasure », p. 141.
9. Le frère de Beatrice, David Macdonald Stewart (1920-1984), est le fondateur du Musée Stewart.
10. The Gazette (Montréal), lundi 16 décembre 1968, p. 8.
11. « Buried Treasure », p. 142.
12. Après la mort de Walter Stewart et juste avant la réouverture du bâtiment rénové en 1971, Mme Stewart s’est ravisée et a accepté que leurs noms soient inscrits sur le mur dans le hall du Musée. « Buried Treasure », p. 144.
13. « Buried Treasure », p. 146.