Norman Parkinson : toujours en vogue. Laura Dumitriu © Musée McCord Stewart, 2024

La mode au-delà des standards

Plongez dans la réflexion de Julie Artacho, militante féministe, sur la diversité corporelle en mode.

Depuis que je suis adolescente, j’ai toujours aimé les revues de mode. La tête bien enfouie dans un Clin d’œil ou un ELLE Québec, j’aimais regarder les mises en scène et les vêtements, les coiffures, le maquillage, la couleur, les poses, les expressions et la beauté des mannequins. Pour moi, c’était comme de petites œuvres d’art que je regardais de la même façon que lorsque j’allais au musée voir des expositions. Ça me fascinait.

Ce n’est qu’en vieillissant que j’ai réalisé que plusieurs adolescentes complexaient à la vue des mannequins dans ces revues. Moi, ça ne m’avait jamais traversé l’esprit de me comparer à une femme adulte de 5 pieds 11 pouces. Je croyais que les personnes s’attardaient seulement à la beauté des images et non pas à la minceur des modèles.

Je suis née en 1983 et j’ai donc grandi à une époque où n’importe quelle actrice avec un visage rond et du gras sur les hanches était considérée comme ronde, voire grosse. J’ai donc internalisé que ma propre grosseur n’était pas vraiment quelque chose que l’on souhaitait voir dans une émission de télévision, un film ou une revue de mode. Ça ne m’empêchait pas de consommer tous ces produits culturels, sans toutefois réaliser l’impact que cette absence de représentation positive allait avoir sur moi plus tard.

Perles rondes

Mon premier souvenir d’une série de photos de mode avec une femme plus ronde remonte à 1997 dans le magazine ELLE Québec. C’était un éditorial intitulé Perles rondes réalisé par le photographe Carl Lessard.

© Carl Lessard

Ce n’est que 12 ans plus tard, en 2009, que je me souviens d’avoir vu une autre femme ronde dans les pages du même magazine. Il s’agissait d’un édito avec des maillots de bain réalisé par les photographes Leda & St.Jacques avec la mannequin Crystal Renn. Celle-ci reviendra dans les pages du magazine début 2010 avec un autre magnifique édito, encore signé Leda & St.Jacques.

À propos de cette dernière séance photo, Denis Desro, qui était rédacteur en chef mode du ELLE Québec lors de la parution de ce numéro, avait partagé avec La Presse la difficulté de trouver des vêtements qui pouvaient faire à la mannequin puisque les échantillons de mode sont généralement de taille petite. « D’abord, nous avons privilégié des vêtements extensibles et, ensuite, nous ne les avons pas attachés dans le dos. Une fois, précisait-il, nous avons même dû nous contenter de déposer une robe sur Crystal, car elle ne pouvait l’enfiler. » 

La photo où Crystal, nue, se couvre de cette superbe robe à défaut de pouvoir la porter a pour moi soulevé l’un des plus gros enjeux de la représentation des personnes rondes ou grosses dans les revues de mode. 

Où sont les personnes grosses?

Les photographies présentées dans l’exposition Norman Parkinson : toujours en vogue illustrent parfaitement l’absence de diversité corporelle – et culturelle – dans le monde de la mode avant le milieu du 20e siècle. Il faudra attendre encore plusieurs années pour voir des mannequins noires ou taille plus dans les pages des magazines.

Norman Parkinson : toujours en vogue. Laura Dumitriu © Musée McCord Stewart, 2024
Norman Parkinson : toujours en vogue. Laura Dumitriu © Musée McCord Stewart, 2024
Norman Parkinson : toujours en vogue. Laura Dumitriu © Musée McCord Stewart, 2024
Norman Parkinson : toujours en vogue. Laura Dumitriu © Musée McCord Stewart, 2024

C’est en 1966 que Donyale Luna sera la première mannequin afro-américaine à faire la couverture du Vogue britannique, suivie en 1974 de Beverly Johnson qui fera celle du Vogue américain. En revanche, ce n’est qu’en 2017 que la mannequin taille plus Ashley Graham paraîtra en couverture du Vogue américain et britannique. Au Québec, ce sera Justine LeGault qui sera la première mannequin taille plus à poser en couverture du ELLE Québec. 

ELLE Québec, Mai 2013

Un problème de taille

Dans un magazine de mode, où l’on est censé présenter les dernières tendances, comment peut-on faire cohabiter la mode haute couture et des vêtements qui s’approchent davantage de la mode éphémère?

Sur les couvertures de magazines, il est facile d’habiller nos personnalités ou mannequins minces de manière incroyable, mais avons-nous le même terrain de jeu quand il s’agit de personnalités taille plus? Je ne crois pas. 

J’ai l’impression que le problème du manque de représentation des personnes plus grosses dans la photographie de mode en est un complexe dont la réponse ne viendra pas d’un seul milieu.   

Nous en sommes encore à lutter pour une plus grande diversité à l’écran, où des personnes issues de la diversité corporelle et culturelle tiendraient les premiers rôles. Puisque les couvertures et les pages intérieures des magazines montrent surtout des visages connus du grand public, il est difficile de présenter des personnes taille plus célèbres puisqu’il y en a si peu qui s’inscrivent dans la culture dominante. Du côté des mannequins, il y en a de plus en plus qui sont dans la catégorie « courbes » des agences, mais on fait face alors à un autre problème : celui de la disparité de l’offre entre les vêtements de taille régulière et ceux de taille plus. 

Dans une séance photo avec une personne de « taille standard », il pourrait y avoir des supports remplis de vêtements au point d’avoir l’embarras du choix, ce qui ne serait pas le cas avec une personne portant du 2XL et plus.  

Ceci étant dit, il y a au Québec quelques designers qui dessinent pour une clientèle plus grosse de magnifiques vêtements qui seraient tout à fait à leur place dans les pages d’un magazine. Il s’agit d’un cercle vicieux qu’il nous faut briser en déconstruisant nos préjugés envers les personnes grosses. Pour cela, il faut plus de diversité à l’écran, l’industrie de la mode doit cesser de fermer la porte à une clientèle plus ronde et les magazines doivent oser plus souvent présenter des corps plus voluptueux. 

Je discutais avec la journaliste Camille Robillard du magazine Les Affaires du manque de représentation dans les médias et la publicité et nous en sommes arrivées à cette conclusion : « Si on veut voir plus de personnes grosses dans les médias, il faut pouvoir les habiller. Pour les habiller, il faut qu’on leur donne de la valeur, et pour qu’on leur donne de la valeur, il faut qu’elles soient vues dans les médias. » 

 

* Le terme « grosse » est utilisé à des fins descriptives et ne se veut absolument pas péjoratif.

Références

Camille Robillard, « Donnez de la valeur aux personnes très grosses », dans Les Affaires, 20 mai 2024 [en ligne]

Lucie Lavigne, « Cystal Renn : bien dans sa peau », dans La Presse, 7 mai 2010 [en ligne]