Laboratoire d’exploration culturelle : une réflexion dans l’action
Développer une programmation muséale en collaboration avec les communautés autochtones.
16 mai 2023
Au cours des dernières années, plusieurs initiatives visant à retourner des objets conservés dans les musées vers des communautés autochtones ont fait la manchette.
D’autres projets de partenariats et de dialogue ont aussi vu le jour dans un esprit de rapprochement, mais surtout, de guérison des blessures associées à la dépossession coloniale dont les institutions muséales ont souvent été les instruments. Dans ce contexte, le Conseil des arts de Montréal a mandaté le Musée McCord Stewart pour faire office de catalyseur d’une réflexion dans l’action qui devrait, souhaitons-le, favoriser des transformations majeures et faire naître des projets inspirants.
À l’invitation du Musée, l’autrice a pris connaissance de la mission du Laboratoire d’exploration culturelle déployé en 2021-2022 par le Musée McCord Stewart grâce à l’appui financier du Conseil des arts de Montréal, et apporte des observations sur la démarche et les constats partagés par les artistes, les représentant·e·s autochtones consulté·e·s et par les membres de l’équipe du Musée. À l’heure où plusieurs organisations remettent en question leurs pratiques, voyons aujourd’hui quelles sont les réflexions de fond sur lesquelles reposent ces initiatives.
Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones
Les collaborations avec les institutions muséales sont alignées sur certains principes énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), notamment quant à la réappropriation des morceaux de leur passé.
Ainsi à l’article 11.1., il est stipulé que les Autochtones ont « … le droit de conserver, de protéger et de développer les manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques et historiques, l’artisanat, les dessins et modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du spectacle et la littérature ». Plus loin, on indique les responsabilités des États qui doivent faciliter le retour de ces objets aux groupes autochtones ou permettre à ceux-ci d’y avoir accès.
Pour plusieurs, cette démarche va au-delà du simple fait de se donner bonne conscience ou de s’acquitter des certaines obligations légales. Rappelons au passage que les objectifs de la DNUDPA ont été intégrés à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (LDNUDPA) sanctionnée le 21 juin 2021. En effet, à ce stade-ci les mesures concrètes adoptées par les musées en lien avec les peuples autochtones contribuent à écrire l’histoire puisque nous sommes collectivement au cœur d’un grand questionnement sur la manière dont les institutions pourront s’adapter pour respecter les droits prévus à la LDNUDPA. Autrement dit, il s’agit maintenant de trouver des manières créatives et innovantes de passer de la parole aux actes.
Revitaliser la culture autochtone
Heureusement, il existe déjà des projets sur lesquels on peut se pencher pour pousser la réflexion plus loin. Les répercussions positives en sont nombreuses et confirment la nécessité de créer des ponts. Par exemple, le retour de certains articles sacrés a permis à certaines communautés de se réapproprier des pratiques de fabrication d’objets de la culture matérielle ou encore de restaurer des protocoles de cérémonie.
Tous ces masques, pipes, regalia (tenues cérémonielles), mâts totémiques, etc., qui avaient été réduits au silence peuvent maintenant reprendre vie après des générations à patienter entre les mondes. Pensons aussi à l’œuvre magistrale du compositeur-interprète Jeremy Dutcher qui, après avoir pris connaissance du contenu des cylindres de cire sur lesquels sont enregistrés les chants de ses ancêtres wolastoqiyik, a pu faire entendre au monde entier des mélodies qui autrement risquaient de sombrer dans l’oubli, bien cachées dans une voûte du Musée canadien de l’histoire.
Une forme de guérison collective fait indéniablement partie de ces démarches qui permettent de revitaliser les cultures, de réaffirmer une identité communautaire et de faire le pont entre les générations.
Or, au-delà de la restitution des objets matériels, il y a fort à faire, ne serait-ce que pour créer une relation fondée sur la confiance et le respect entre les institutions muséales et les peuples autochtones. À l’avenir, les musées devront composer avec un défi de taille : porter la charge symbolique d’être une institution qui incarne la dépossession matérielle et spirituelle des Premiers Peuples. Habités par des fantômes, les musées canadiens doivent impérativement naviguer entre la mise en place d’initiatives qui favorisent le rapprochement avec les communautés et la nécessité de prendre en compte le caractère traumatique associé aux pratiques muséales classiques.
Comment faire alors pour éloigner les ombres et créer des espaces propices à la confiance, à l’échange et au dialogue avec les Premiers Peuples? Comment s’engager plus en profondeur dans ce processus pour transformer la relation?
Vers une programmation culturelle cocréée
C’est sur la trame de fond d’une réflexion poussée sur ces principes de réconciliation et de réparation que le Musée McCord Stewart a entrepris d’élaborer une programmation culturelle en collaboration avec des représentant·e·s de communautés autochtones. Forte de son expérience et de son expertise dans le grand univers de l’autochtonie, l’équipe du Musée a été mandatée par le Conseil des arts de Montréal pour mener une réflexion dans l’action.
Différents projets ont donc été mis sur pied à la suite de discussions ouvertes avec des intervenant.e·s du milieu autochtone. Deux artistes, Ivanie Aubin-Malo et Barbara Diabo, une chercheuse universitaire, Caroline Nepton Hotte, et un représentant d’un organisme communautaire, Elie-John Joseph de Wapikoni mobile, ont été interpellés pour offrir leur point de vue et partager leur vision d’une programmation culturelle basée sur des approches renouvelées qui tiennent compte des réalités et des besoins des créatrices et créateurs, tout comme ceux des publics autochtones.
Les voix des collaboratrices et collaborateurs autochtones ont été entendues à l’intérieur des murs du Musée et les échanges ont permis de tirer le constat suivant : l’institution devait revoir certaines de ses pratiques pour devenir un lieu d’accueil et de partage. Il fallait faire autrement et réfléchir à la manière d’ouvrir les portes pour tenir compte des attentes exprimées par les partenaires du milieu.
Un espace sécuritaire et une démocratisation de l'accès
Dans l’intention de faire du Musée un espace où les communautés et les artistes autochtones se sentent pleinement accueillis, différents projets ont été réalisés. Par exemple, des locaux sont maintenant offerts pour permettre la tenue d’évènements organisés par, pour et avec des groupes autochtones, ce qui permet de développer une autre relation avec un lieu où, normalement, les gens du public ne sont que des passants anonymes.
Il s’agit sans doute d’une excellente initiative, surtout en milieu urbain où les espaces culturellement sécurisants n’abondent pas. Mais d’autres défis demeurent et on peut se demander jusqu’où il est possible d’aller dans le processus d’ouverture des portes. Comment concilier les normes de sécurité et de contrôle, nécessaires pour assurer la protection des collections, avec la tenue de cérémonies qui, par exemple, requièrent de faire brûler des herbes sacrées?
Les objets de certaines collections du Musée McCord Stewart provenant de communautés autochtones ont aussi été au cœur des discussions. Les Autochtones avec qui nous avons collaboré ont envoyé un message clair : l’accès à ces objets devrait être repensé pour permettre aux gens intéressés, y compris ceux vivant en régions éloignées, d’y avoir accès pour renouer avec ces pans de leur passé dérobé. Ainsi, deux projets invitant des personnes des communautés autochtones à venir voir des objets liés à leur histoire culturelle ont été développés par l’équipe de l’Action éducative, citoyenne et culturelle à des moments clefs de la programmation culturelle.
Ici, la complexité de l’opération se révèle dans toute son ampleur. En effet, au-delà de la fragilité de certains objets s’ajoutent la gestion de la démocratisation de l’accès à ceux-ci, les démarches de communications qui doivent impérativement impliquer les personnes clés dans les communautés autochtones et, on l’oublie souvent, l’offre adéquate d’un soutien émotionnel et psychologique aux individus que le contact avec des fantômes du passé pourrait perturber.
Cet exemple tout simple évoque la difficulté de faire coexister dans l’espace muséal les différentes dimensions des objets, tant leur caractère sacré que les considérations matérielles à prendre en compte, tout comme leur fonction éducative qui permet au grand public de prendre conscience de la richesse des cultures et des histoires autochtones. C’est bien là une preuve qu’il ne faut pas en rester là, qu’il ne suffit pas d’ouvrir ses portes à un visiteur pour qu’il fasse partie de la famille.
Développer la sécurité culturelle
Aussi, les réflexions sur les pratiques muséales ont également cheminé vers une question centrale : comment favoriser le développement de la sécurité culturelle au sein de l’institution? Ce concept suppose que, lors d’une activité, les personnes ne devraient pas avoir à s’expliquer ou à se justifier d’être elles-mêmes. Elles doivent pouvoir sentir qu’elles sont dans un environnement où les gens, les objets et les procédures leur permettent d’exprimer leur identité culturelle. Même si ce concept est généralement bien compris, sa mise en œuvre n’est pas toujours simple. Par exemple, le phénomène de l’autoidentification autochtone est une réalité qui peut être très abrasive, particulièrement en milieu urbain où les dénonciations de cas d’appropriation culturelle et identitaire se sont multipliées ces dernières années. Les institutions muséales doivent donc aussi naviguer dans les paramètres, parfois flous, de l’identité autochtone, car autrement les occasions de rapprochements pourraient bien être assombries par des expériences négatives qui perpétueraient un climat de méfiance. Sur ce point, il n’y a pas de solution simple, et une réflexion collective sur les mesures à mettre en place à ce sujet semble désormais incontournable.
Une démarche à l'échelle mondiale
Par ailleurs, il semble évident que la réflexion sur ces enjeux doit se poursuivre collectivement sur plusieurs fronts. Avec qui la relation doit-elle être restaurée? Quelles sont les personnes ou les groupes envers qui les musées ont une responsabilité particulière par rapport aux collections qu’ils hébergent? Comment lever l’aura d’inaccessibilité qui entoure ces objets? Comment être flexible et à l’écoute des besoins des communautés et des individus tout en tenant compte des contraintes organisationnelles et des règles institutionnelles?
Tant de questions pour lesquelles il y a sans doute autant de réponses que de possibilités de collaboration. Mais ce qui semble certain, c’est qu’à présent, les musées ne travaillent plus en vase clos surtout lorsqu’il est question de restaurer la relation avec les Premiers Peuples. Au contraire, en s’inscrivant dans une démarche de réconciliation qui prend place à l’échelle mondiale, les institutions muséales ont l’occasion de poser des gestes qui peuvent avoir des répercussions partout en Autochtonie.
Cette réflexion dans l’action est un processus fait d’écoute, de partage, d’initiatives, mais surtout d’ajustements apportés en continu. Bref, on apprend en marchant ensemble, ce qui est dans la nature des choses lorsque l’on construit une relation. Après tout, ce n’est qu’en plongeant, avec une empathie et un intérêt sincère envers l’autre, dans le fossé entre les peuples que l’on peut arriver à construire des ponts.