Drucker & Baltes, Bal costumé pour Anna Cowans, Montréal, 1924. Don de Joan Elspeth Bourne, MP-1984.125, Musée McCord Stewart

Le bal costumé des Cowans

Un bal d’il y a cent ans revit grâce aux photographies et aux costumes des personnes présentes.

Cette photographie au flash a été prise peu après minuit, le 14 novembre 1924, dans la salle de bal de l’hôtel Mont-Royal, où se tenait le somptueux bal donné par M. et Mme Percy Cowans en l’honneur de leur fille Anna. Des épreuves de l’image, développées à toute vitesse, ont été distribuées aux invitées et invités alors qu’ils quittaient les lieux, aux petites heures du matin.

Souvenir d’un grand bal

La photographie apparaît aussi sur la deuxième page du Montreal Star du lendemain, avec une longue liste des invités et la description de leurs costumes. On peut aussi la voir, plus grande que nature, sur la couverture du livre Bals costumés – Habiller l’Histoire, 1870–1927. La photographie réelle n’ayant qu’une taille de 27 x 47 cm, sa présence dans l’exposition est plus discrète, bien qu’un écran tactile situé à côté permette aux visiteuses et visiteurs de l’agrandir pour observer les détails.

Quelque 750 membres de la haute société anglophone de Montréal participaient au bal costumé privé en l’honneur d’Anna Cowans, qui avait fait ses débuts dans la société l’année précédente. Mais les hôtes de la soirée, de même qu’un certain nombre des personnes présentes, ne sont pas visibles dans l’image. Grâce à d’autres photographies du Studio Notman et à des costumes toujours existants, nous pouvons mieux connaître les personnages incarnés dans la salle de bal ce soir-là, révélant certaines des idées reçues et des aspirations de ce groupe privilégié.

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Les Cowans et leurs personnages

Comme au siècle précédent, beaucoup de personnes présentes au bal, incluant la famille Cowans, se sont inspirées de l’histoire. Percy Cowans incarne un personnage de la pièce de théâtre A School for Scandal, portant un manteau noir avec garnitures dorées et une culotte de satin noir, un jabot et des manchettes de dentelle ainsi qu’une perruque. Mme Cowans personnifie « Une dame du 13e siècle », dans un costume de velours noir garni d’hermine et un large chapeau brodé d’argent, avec un grand voile drapé.

Wm. Notman & Son Ltd., Mabel et Percy Cowans incarnant « Une dame du 13e siècle » et un personnage de la pièce de théâtre School for Scandal, Montréal, 1924. II-261637, Musée McCord Stewart

Anna Cowans a choisi d’incarner un personnage masculin, « Sir Peter Teazle », tiré de la même pièce de théâtre, dans un costume de style 18e siècle de couleur prune. Vingt ans plus tôt à peine, il aurait été très mal vu qu’une femme se présente dans un costume d’homme et prenne une pose aussi masculine devant l’objectif de l’appareil photo. En fait, plusieurs tabous du 19e siècle sont disparus à l’époque de ce bal. Par exemple, les invités portent des masques, qu’ils retirent seulement avant la prise de vue au flash.

Wm. Notman & Son Ltd., Anna Cowans en « Sir Peter Teazle », Montréal, 1924. II-261636, Musée McCord Stewart

Néanmoins, les participantes et participants du bal ne s’éloignent pas trop des standards de modestie prévalents. Dans son interprétation d’« Ève », Winifred Tait écarte toute allusion à la nudité, avec sa « courte tunique de feuilles vertes, retenue à l’épaule par une pomme, avec un serpent de paillettes enroulé autour de la taille, des sandales brunes, les cheveux détachés, tenus en place par une gerbe de feuilles1 ».

Wm. Notman & Son Ltd., Winifred Tait en « Ève », Montréal, 1924. II-262343, Musée McCord Stewart

Un paon

Bessie Molson participe au bal en personnifiant « Un paon », dans un costume que l’on peut voir dans l’exposition Bals costumés – habiller l’histoire, 1870-1927. Ses matériaux sont à la fine pointe de la mode. Néanmoins, la silhouette du pantalon s’éloigne audacieusement de ce qui est généralement accepté pour une femme, rappelant les créations de Paul Poiret et de l’illustrateur Erté pour le célèbre bal des « Mille et Une Nuits » organisé par Poiret en 1911.

Dans une teinte alors appelée « cendres de roses », une camisole de satin de soie légèrement baleinée, avec des bretelles de strass, produit une illusion de taille basse sur le pantalon long. Les deux pièces sont ornées de rangées verticales de strass et de petites plumes de paon. Un turban en lamé d’argent, orné de rangées de strass surperposées sur l’avant et produisant l’effet d’un treillis, soutient une rangée graduelle de grandes plumes de paon exposant les ocelles. Nous avons eu beaucoup de chance de trouver une illustration qui semble avoir servi d’inspiration pour son costume.

Il ne reste qu’un fragment de la photographie de groupe de Bessie et ses amis dans les archives du Studio Notman, mais heureusement, cette photographie a été reproduite intégralement dans un journal mondain de New York qui a couvert le bal. L’effet produit par la coiffure est mieux apprécié dans la photographie où Bessie se tient à l’arrière du groupe.

Groupe avec Bessie Molson costumée en « Paon », Montréal, 1924. The Spur, 15 décembre 1924, vol. 34, no 12, p. 38, NYPL

Personnages racialisés

Le mari de Bessie, le colonel Herbert Molson, qui n’a pas été photographié dans ce petit groupe ni dans le grand, incarne « Un rajah indien ». Ce turban est tout ce qui reste de son costume, qui est décrit ainsi : « [un] pantalon de tissus argenté à la cheville, un manteau de satin orchidée garni de dentelle d’argent et d’or, une écharpe de satin cerise avec franges, un turban argent et or avec cocarde d’argent et un masque cerise2 ».

Beaucoup utilisent des vêtements et des accessoires provenant des pays dont ils souhaitent personnifier la culture, les accompagnant de maquillages sombres. Toutefois, ce turban a été fabriqué pour l’occasion. Comme le costume de Bessie, il porte l’étiquette de Windsor Bazaar, un atelier local, actif des années 1890 à 1920, renommé pour ses vêtements de soirée haut de gamme.

Le costume d’Herbert Molson n’a pas été préservé, mais nous pouvons imaginer ce à quoi il devait ressembler grâce à une autre image d’un invité dont le personnage et le costume sont décrits comme très semblables aux siens. L’artiste Alphonse Jongers s’est lui aussi présenté au bal en incarnant « Un rajah » et a posé pour un photographe en compagnie de l’actrice très connue Martha Allan, personnifiant « Le tsarévitch fou du ballet russe ».

Wm. Notman & Son Ltd., Martha Allan et Alphonse Jongers costumés, Montréal, 1924. II-261687, Musée McCord Stewart

Dans ce bal, comme dans bien d’autres où les personnages racialisés ne sont pas strictement prohibés sur l’invitation, plusieurs se livrent sans retenue à ce genre d’exhibitions. Celles-ci témoignent d’une vision partagée de l’exclusion – ces personnages incarnant l’« Autre », souvent à l’aide d’un mélange incongru d’objets culturels et d’éléments créés en guise de costumes. Plusieurs d’entre elles se démarquent par la manière dont elles contribuent à normaliser la blancheur et à exercer un contrôle racial.

Un nombre significatif de personnes ont choisi d’incarner des personnages chinois, ce qui reflète la croissance de ce stéréotype raciste dans la culture populaire depuis la fin du 19e siècle. Considérant que le Canada a interdit toute immigration chinoise dès 1923, leur fréquence témoigne d’une volonté de rappeler l’endiguement de ce qui est perçu comme une menace raciale. L’un de ces personnages chinois est incarné par sir Arthur Currie, principal de l’Université McGill, qui apparaît plus haut avec le groupe de Bessie Molson. Un autre est le sénateur Smeaton White. Ce genre d’expressions ne se limite pas à l’appropriation des stéréotypes raciaux. Quatre participants du même bal incarnent des membres du Ku Klux Klan; on peut voir l’un d’entre eux au centre de la première rangée.

Autres costumes préservés

John Wilson McConnell compte parmi les hommes d’affaires les plus prospères au Canada. Après avoir acquis une raffinerie de sucre, il a diversifié ses intérêts en se lançant dans la publication de journaux. Il est aussi un des philanthropes les plus généreux au Canada. Bien que son épouse, Lily Griffith McConnell, occupe la place la plus en vue au premier plan à droite de la photographie au flash, John Wilson McConnell n’y apparaît pas. Nous savons toutefois, grâce aux articles des journaux, qu’il a participé au bal dans ce costume bleu de style 18e siècle.

John Wilson McConnell porte le même habit à nouveau en 1927 au bal historique de Narcisse Pérodeau à Québec, mais il se fait finalement photographier avec lui seulement en 1955, l’année d’un autre bal historique coïncidant avec le 50e anniversaire de mariage du couple.

Posen Studio, John W. McConnell and Lily Griffith McConnell costumés, Montréal, vers 1955. Don de Kathleen Laing, M2003.8.6.8.94, Musée McCord Stewart

John Wilson McConnell a donc utilisé ce costume pendant 30 ans, tirant le meilleur profit d’un investissement à la mesure de sa fortune pour obtenir la plus haute qualité que l’on puisse s’offrir à son époque.

Personnages populaires et créatifs

Les personnages les plus populaires sur la liste d’invités sont « Pierrot » et « Pierrette ». Les personnages espagnols arrivent en seconde place.

La comparaison entre les descriptions des journaux et les portraits révèlent parfois les intentions humoristiques d’autres portraits. À l’extrême gauche, près du mur, Nora Hodgson apparaît en « Houppe à poudrer », avec l’accessoire de beauté monté sur un bandeau. Elle est l’une des trois femmes qui ont choisi ce personnage. Immédiatement à gauche d’une sorcière au masque en papier mâché, au centre, Mme Beardmore, vêtue d’une robe argent avec une coiffure bouclée d’une hauteur vertigineuse, incarne « Une permanente », une allusion à une autre pratique de salons de beauté.

Il est malheureusement impossible d’identifier la plupart des autres personnes présentes dans la foule. Malgré tout, la photographie demeure captivante, un siècle après qu’elle a été prise, et le nombre de copies qui en ont été données au Musée au cours des ans témoigne de son impact en tant que précieux souvenir.

NOTES

  1. The Gazette (Montréal), 15 novembre 1924, p. 5.
  2. The Gazette (Montréal), 15 novembre 1924, p. 5.