© Katy Lemay, 2022

Les patients du Dr Fenwick

Interdit à la vente : la vie privée au studio Notman ou comment contrôler son image au 19e siècle (partie 6/6).

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Katy Lemay, illustratrice

28 juin 2022

Le respect de la vie privée est en jeu dans les photographies de patients prises pour le Dr George Fenwick, professeur de chirurgie à l’Université McGill à Montréal de 1875 à 1890. Durant cette période, Fenwick a collectionné des spécimens pour les musées médicaux de McGill et s’est intéressé à des procédures et à des protocoles innovateurs. Dans les années 1870, par exemple, il a mis au point une nouvelle chirurgie du genou qui réduisait la nécessité d’amputer la jambe, une intervention potentiellement mortelle, et il a instauré de nouvelles méthodes antiseptiques au Montreal General Hospital.

APPROCHE MODERNE

L’adoption de la technologie photographique par Fenwick cadre parfaitement avec son approche moderne de la médecine et son intérêt pour l’enseignement à l’aide d’outils visuels. Durant ses années d’enseignement à McGill, le Dr Fenwick a régulièrement fait appel aux services du studio Notman pour photographier ses patients.

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Voici le premier article Bienvenue au studio

La plupart du temps, Notman n’a pas consigné le nom des patients photographiés dans le cadre de cette collaboration. Quelques-unes de ces photographies étaient accompagnées d’une restriction indiquant de « ne pas inclure » les épreuves dans le Registre de photos, et les négatifs de ces images ne sont pas non plus dans les archives. Cependant, aucune règle concernant le respect de la vie privée n’était appliquée aux portraits cliniques réalisés au studio Notman.

William Notman, Le patient du Dr Fenwick, Montréal, 1888. II-87259.1, Musée McCord
Restriction : Not to be put in. Dr. Fenwick
William Notman, Le patient du Dr Fenwick, Montréal, 1888. II-87261.1, II-87262.1, Musée McCord
Restriction : Not to be put in. Dr. Fenwick

En 1877, Fenwick a envoyé une patiente souffrant d’un goitre se faire photographier au studio Notman afin de documenter sa maladie. Elle y est retournée après avoir subi avec succès une chirurgie pour le faire enlever. Les deux photographies ont été placées dans le Registre de photos et aucune restriction quant à leur circulation ne semble avoir été demandée, ni par Fenwick ni par le modèle.

William Notman, La patiente du Dr Fenwick (goitre), Montréal, 1877. II-46009.1, Musée McCord
Aucune restriction
William Notman, La patiente du Dr Fenwick (goitre), Montréal, 1878. II-48683.1, Musée McCord
Aucune restriction
William Notman, La patiente du Dr Fenwick (goitre), Montréal, 1878. II-48684.1, Musée McCord
Aucune restriction

PUDEUR VICTORIENNE

En 1878, Notman ou l’un de ses photographes a pris en photo une patiente souffrant d’une légère malformation à la jambe, peut-être dans le cadre des travaux de recherche de Fenwick sur les chirurgies de la jambe. Aucune restriction ne semble avoir été demandée quant à l’ajout des images dans les Registres de photos ou à leur vente, mais peut-être était-il entendu que les photographies des patients du Dr Fenwick étaient réservées à son usage exclusif. Néanmoins, les archivistes du Musée McCord ont trouvé ces portraits cachés par des feuillets collés dans le Registre. Force est de conclure que quelqu’un au studio Notman avait ajouté des morceaux de papier sur les images de la patiente, une rare intervention qui ne touche que les cas de photographies cliniques dans le Registre de photos.

William Notman, La patiente du Dr Fenwick, Montréal, 1878. II-49289.1, II-49290.1, Musée McCord
Un morceau de papier a été collé sur l’épreuve dans le livre des modèles.

Puisque personne n’a censuré les photographies de la patiente souffrant d’un goitre, la restriction appliquée aux images de la femme au genou difforme semble n’avoir aucun lien avec l’aspect disgracieux de sa condition médicale. Après tout, les gens de l’époque victorienne étaient fascinés par les étrangetés physiques, comme en témoigne la grande popularité des exhibitions de phénomènes humains, comme celles du P.T. Barnum’s American Museum.

Dans le contexte de la pudeur victorienne, il était risqué pour les femmes de dévoiler ne serait-ce qu’une cheville, et à plus forte raison de poser en ne portant sous la taille qu’une culotte bouffante. Les morceaux de papier collés offraient au personnel de Notman la possibilité de renforcer le contrôle ou la restriction des images, en établissant dans quelle mesure il fallait respecter le caractère privé des portraits cliniques ou protéger le regard du personnel de Notman des photographies parfois surprenantes.

NUL BESOIN D'EMBELLISSEMENT

Les portraits cliniques réalisés pour Fenwick par le studio Notman diffèrent de collections comparables datant des débuts de la photographie médicale ou carcérale où les sujets ont souvent l’air très réticents à se faire prendre en photo. Les sujets de Notman semblent au contraire relativement à l’aise devant l’objectif. Cela dit, les patients de Fenwick n’avaient pas droit aux mêmes attentions habituellement accordées aux clients réguliers de Notman.

Si les portraits commerciaux étaient communément pris devant un décor luxueux composé de mobilier, de tapis et d’autres accessoires, ceux des patients de Fenwick étaient réalisés dans des espaces dépouillés et sobres. Comme elles avaient une fonction utilitaire, ces images ne nécessitaient aucun embellissement.

Quelle qu’en soit l’origine, les restrictions appliquées à certaines de ces photographies témoignent peut-être d’un souci de préserver la dignité des patients. Mais le fait que plusieurs de ces images pouvaient être ajoutées aux Registres de photos laisse croire que l’intérêt de Fenwick et de Notman envers les patients eux-mêmes était de nature sélective.

NOUVELLES NORMES

Peu de temps après que ces photographies ont été prises, avec l’avènement de l’appareil portatif, la photographie médicale a largement délaissé le studio commercial au profit du cabinet de médecin. Le manque flagrant d’exclusivité accordée aux patients explique pourquoi ils ont commencé à exiger d’avoir plus de contrôle sur l’utilisation de leurs photographies par les médecins à la fin du dix-neuvième siècle. Ces revendications ont mené à des batailles juridiques au sujet du consentement et de la vie privée qui ont donné naissance à de nouvelles normes en matière de soins aux patients.

Aujourd’hui, de nouvelles questions émergent au sujet de la photographie et de la vie privée des patients, tandis qu’un nombre grandissant de praticiens, notamment des dermatologues et des chirurgiens plastiques, obtiennent du succès sur des plateformes de médias sociaux comme Instagram en diffusant des images et des vidéos de maux et de traitements dans le but d’élargir leur clientèle.

La série Interdit à la vente : la vie privée au studio Notman est financée en partie par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

À propos des auteures et de l'illustratrice

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Sarah Parsons est professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Elle a rédigé plusieurs textes sur Notman, dont William Notman : sa vie et son œuvre (Institut de l’art canadien, 2014) et « Le studio Notman comme lieu de performance » dans Notman, photographe visionnaire (Musée McCord, 2016), publié sous la direction d’Hélène Samson et de Suzanne Sauvage. Cette série d’articles fait partie de Feeling Exposed: Photography, Privacy, and Visibility in Nineteenth Century North America, un projet pluriannuel financé en partie par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Sarah Parsons est professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Elle a rédigé plusieurs textes sur Notman, dont William Notman : sa vie et son œuvre (Institut de l’art canadien, 2014) et « Le studio Notman comme lieu de performance » dans Notman, photographe visionnaire (Musée McCord, 2016), publié sous la direction d’Hélène Samson et de Suzanne Sauvage. Cette série d’articles fait partie de Feeling Exposed: Photography, Privacy, and Visibility in Nineteenth Century North America, un projet pluriannuel financé en partie par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas vient de terminer un doctorat au Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Sa recherche porte sur la culture visuelle et matérielle du Canada au dix-neuvième siècle, et sa thèse de doctorat est une étude approfondie des broderies florales qui ornent trois courtepointes canadiennes historiques. Elle a obtenu une bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand Bombardier, ainsi qu’une bourse Isabel Bader en recherche et restauration de textiles à l’Agnes Etherington Art Centre en 2019.
Vanessa Nicholas vient de terminer un doctorat au Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Sa recherche porte sur la culture visuelle et matérielle du Canada au dix-neuvième siècle, et sa thèse de doctorat est une étude approfondie des broderies florales qui ornent trois courtepointes canadiennes historiques. Elle a obtenu une bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand Bombardier, ainsi qu’une bourse Isabel Bader en recherche et restauration de textiles à l’Agnes Etherington Art Centre en 2019.
Katy Lemay, illustratrice

Katy Lemay, illustratrice

Katy Lemay se passionne pour les arts visuels depuis plusieurs décennies. Son diplôme en design graphique de l’Université du Québec à Montréal lui a donné les outils nécessaires pour devenir une illustratrice grandement respectée. Si elle puise son inspiration dans des magazines et des photographies rétro pour réaliser ses collages complexes, les mots sont également pour elle une source d’idées intarissable.
Katy Lemay se passionne pour les arts visuels depuis plusieurs décennies. Son diplôme en design graphique de l’Université du Québec à Montréal lui a donné les outils nécessaires pour devenir une illustratrice grandement respectée. Si elle puise son inspiration dans des magazines et des photographies rétro pour réaliser ses collages complexes, les mots sont également pour elle une source d’idées intarissable.