Il y a 100 ans, sanction de la « loi d’exclusion des Chinois »
La communauté chinoise du Canada : victime de discrimination institutionnalisée, malgré une contribution majeure au développement de sa société d’accueil.
26 juin 2023
LE CONTENU DE LA LOI
La Loi concernant l’immigration chinoise, communément appelée « loi d’exclusion des Chinois », est sanctionnée le 30 juin 1923 et mise en vigueur le 1er juillet, fête du Dominion. Rebaptisée « Jour de l’humiliation » dans la population sino-canadienne, cette date marque une seconde phase de racisme et de politique antichinoise. Une première loi fédérale avait en effet été adoptée en 1885 en vertu de laquelle une taxe d’entrée (50 $) était imposée à toute personne d’origine chinoise entrant au Canada. Celle-ci fut augmentée à 100 $ en 1900 et à 500 $ en 1903 (l’équivalent de près de deux ans de salaire).
Dans la loi d’exclusion des Chinois du gouvernement fédéral, en vigueur de 1923 à 1947, il était indiqué que : « Nul individu d’origine ou de descendance chinoise […], n’est admis à entrer ou débarquer au Canada ». L’immigration (seulement une cinquantaine de personnes en deux décennies) se bornait à quelques catégories (corps diplomatiques, consuls, enfants nés au Canada, marchands, étudiants).
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Parmi toutes les personnes refusées par la loi, notons les « idiots, imbéciles, faibles d’esprit, épileptiques, les personnes malades, les criminels, les prostituées et souteneurs, les proxénètes, les mendiants, les alcooliques ou narcomanes, de défectuosité mentale ou physique, les partisans de la force ou de la violence contre un gouvernement organisé, les membres d’organisations illicites, les conspirateurs, les illettrés, les personnes déportées ».
LES CONSÉQUENCES DE LA LOI SUR LA POPULATION D'ORIGINE CHINOISE
Cette loi discriminatoire allait à l’encontre des droits de la personne, était empreinte de xénophobie et témoignait d’un racisme institutionnalisé. Le coût élevé de la taxe imposée par la première loi fédérale de 1885 fait en sorte que, de façon générale, entre 1885 et 1923, seuls les hommes immigrent au Canada. Une majorité d’entre eux travaillent à la construction du chemin de fer pancanadien du Canadien Pacifique et comptent gagner suffisamment d’argent pour faire venir leur famille par la suite. La loi de 1923 vient mettre un terme à ce projet et anéantir toutes leurs chances d’être réunis avec leur famille sur le territoire canadien. L’impact fut donc immense pour la communauté chinoise, la disproportion créée entre les hommes et les femmes menant à une « société de célibataires ».
La loi aura pour effet de séparer les familles pendant des décennies, voire pour toujours. Ce n’est qu’à partir de 1967, soit 20 ans après la fin de la loi d’exclusion des Chinois et à la suite notamment de pressions exercées par les Sino-Canadiens ayant participé à la Seconde Guerre mondiale, que le gouvernement a réellement rouvert les frontières à la population chinoise. En effet, la refonte du Règlement sur l’immigration établit de nouvelles normes d’évaluation des candidat·e·s à l’immigration. Davantage de Chinois·es répondent alors aux critères de recevabilité, ce qui rend le processus plus équitable et le territoire canadien plus accessible.
L’ennui, la solitude et la détresse ont donc marqué toute une génération d’hommes forcés de vivre loin de leurs proches. Pendant ce temps en Chine, plusieurs femmes et enfants éprouvés par l’absence d’un mari et d’un père ont connu la famine, étant incapables de subvenir à leurs besoins. Mon grand-père paternel, Georges Lin Jew Cha, arrivé à l’aube de 1920, a vécu cette période sombre, ne pouvant pas faire venir de Chine sa femme et son fils.
Mon père, Philippe Joseph Kuo Doon Cha, né d’un second mariage avec une Canadienne française, est le produit des conséquences directes de cette loi. La réunification avec les membres de la première famille de mon grand-père ne s’est produite que plusieurs décennies plus tard, non sans tumulte et difficulté comme nous pouvons l’imaginer. Mon père a d’ailleurs appris leur présence à Montréal que plusieurs années plus tard.
LA RECONNAISSANCE OFFICIELLE DU GOUVERNEMENT CANADIEN
De nombreux Montréalais·es d’origine chinoise sont en fait ce qu’on appelle communément des « demi-Chinois·es », comme mon père. Lui, comme d’autres, partage les traits de peuples distincts et son identité a été forgée par une double culture. Ce n’est qu’au début du nouveau millénaire que les répercussions néfastes de la loi ont été reconnues officiellement par le gouvernement. Le 22 juin 2006, le premier ministre du Canada, Stephen Harper, a offert des excuses complètes aux Canadien·ne·s d’origine chinoise pour l’imposition de la taxe d’entrée et exprimé de profonds regrets pour l’adoption de la Loi concernant l’immigration chinoise qu’il qualifia d’injustice grave.
Le 30 mai 2023, le gouvernement du Canada a reconnu l’importance historique nationale de l’exclusion des immigrant·e·s chinois·es. L’honorable Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique et ministre responsable de Parcs Canada déclarait : « Ce territoire, maintenant connu sous le nom de Canada, a été et continue d’être façonné par les contributions des immigrants et des peuples autochtones. La désignation de l’exclusion des immigrants chinois comme un événement historique national, 100 ans après son adoption, reconnaît l’injustice tragique que les Sino-Canadiens ont subie, tout en offrant l’occasion de réfléchir à l’importance de lutter contre le racisme anti-asiatique. Le gouvernement du Canada est déterminé à faire en sorte que nous ayons l’occasion d’en apprendre davantage sur l’ensemble de notre histoire commune, notamment les périodes tragiques et honteuses qui font partie de notre passé. »
Moi et bien d’autres Montréalais·es d’origine chinoise portons cet héritage et ce devoir de mémoire, comme l’ensemble des citoyens de la métropole et du pays.