Le Musée McCord Stewart selon Suzanne Sauvage
19 décembre 2022
À la veille de son départ à la retraite, Suzanne Sauvage, présidente et cheffe de la direction du Musée McCord Stewart, nous parle de son parcours au Musée et de l’avenir de l’institution.
Depuis votre arrivée à la direction du Musée McCord en 2010, sa fréquentation a quadruplé. Comment l’expliquez-vous?
Il y a 12 ans, ce musée, il faut bien l’admettre, était un peu poussiéreux. La question était de savoir comment le différencier des autres et en faire un musée dynamique et pertinent pour tous les Montréalais.
Quadrupler l’achalandage ne s’est pas fait du jour au lendemain. Nous avons d’abord redéfini son positionnement pour l’inscrire dans son temps, le 21e siècle, et en faire un musée d’histoire sociale actif, participatif et inclusif.
Nous nous sommes aussi donné pour mission de raconter l’histoire de manière critique et inclusive en nous appuyant sur les exceptionnelles collections du Musée constituées de plus de 200 000 objets et plus de deux millions de photographies qui témoignent de l’histoire sociale de Montréal et de sa place au sein du Québec et du Canada, et qui reflètent la vitalité des peuples autochtones.
En parallèle, nous avons développé une nouvelle identité visuelle, plus moderne, plus colorée qui va de pair avec notre positionnement. Avec une programmation très diversifiée – près de 150 expos pendant mon mandat –, une action éducative, citoyenne et culturelle renouvelée et audacieuse, des partenariats stratégiques avec des organismes culturels et communautaires, nous avons incité nos publics à venir au Musée plus d’une fois par année, ce qui explique, en partie, cette hausse de l’achalandage.
Notre programme Artiste en résidence, où nous invitons un artiste contemporain à interpréter nos collections, et nos missions photographiques Montréal en mutation, ayant pour but de documenter les quartiers de Montréal en évolution, sont autant d’initiatives qui ont contribué à attirer des clientèles plus nombreuses, plus jeunes et plus diversifiées.
Le lancement des Collections en ligne est une autre stratégie déployée pour rejoindre un plus vaste public et rendre nos collections plus accessibles. Grâce à cette plateforme, les chercheurs – et tous ceux que cela intéresse – ont accès à plus de 140 000 objets, photographies et documents d’archives. C’est un projet à long terme et nous travaillons déjà à y ajouter de nouveaux corpus de nos collections.
Pourquoi la fusion avec le Musée Stewart et le Musée de la mode?
L’idée d’intégrer le Musée Stewart au Musée McCord existait bien avant mon arrivée. Réaliser cette fusion nous a permis d’enrichir les collections qui sont complémentaires, tout particulièrement celles de l’époque de la Nouvelle-France, et d’assurer la pérennité de cet extraordinaire patrimoine. Quant au Musée de la mode, je dirais que les mêmes critères ont motivé cette fusion avec la volonté de faire de notre institution une référence sur l’histoire de la mode à Montréal et au Québec.
Vous avez accueilli plusieurs grandes expositions internationales. Quelle est celle qui vous a personnellement le plus emballée?
Nous en avons effectivement accueilli un grand nombre, dont De Philadelphie à Monaco : Grace Kelly – Au-delà de l’icône, Balenciaga, maître de la haute couture, Eleganza – La mode italienne de 1945 à aujourd’hui et Christian Dior, plus récemment. Il est important pour nous de toujours intégrer un volet montréalais à ces expositions internationales. C’est ainsi que nous avons présenté dans l’exposition Christian Dior des robes de ce couturier provenant de notre collection Costume, mode et textiles ayant été portées par des Montréalaises.
Parmi toutes ces expositions, ma préférence va à Horst : photographe de l’élégance que nous avons présentée en 2015. Consacrée à l’un des plus grands photographes de mode et portraitistes du 20e siècle, l’exposition nous permettait de découvrir ses multiples talents et sources d’inspiration au-delà de la photographie de mode, le tout scénographié magnifiquement.
La scénographie joue d’ailleurs un rôle important dans toutes nos expositions. Nous avons reçu des commentaires élogieux de la part de nos collègues conservateurs de Londres ou de Toronto qui ont collaboré avec nous sur ces expositions et qui ont affirmé, avec raison, que nos scénographies sont d’une qualité cent fois supérieure à celles de leurs institutions! Nous avons aussi une expertise unique en restauration et en montage de costumes qui est reconnue internationalement, et nous sommes souvent consultés par les plus grands musées américains et européens. Nous en sommes très fiers!
Selon vous, un musée a-t-il pour mission, aujourd’hui, de sortir « hors les murs » et d’aller à la rencontre des gens?
Le Musée McCord Stewart sortait dans la rue bien avant mon arrivée. Il y a plus de 15 ans que nous présentons annuellement une exposition de photos sur l’avenue McGill College. C’est une belle façon de faire rayonner la photographie et notre collection. Nous avons aussi aménagé la Forêt urbaine dans la rue Victoria, du côté ouest du Musée, un espace que la Ville de Montréal nous permet d’occuper à l’année. L’été, des milliers de Montréalais y viennent pour manger, travailler sur les tables à pique-nique ou assister aux spectacles que nous présentons. C’est une façon ludique et conviviale de sortir le Musée dans la rue. Il en va de même pour la vitrine mécanique de Noël, exposée pendant la période des Fêtes dans la rue Victoria pour poursuivre la tradition du magasin Ogilvy, alors que la deuxième vitrine est présentée à l’intérieur.
Sortir le Musée hors les murs, c’est aussi aller dans les quartiers à la rencontre des gens. C’est le point de départ si l’on veut bâtir des liens de confiance avec les communautés. Il ne faut pas s’attendre à ce que les gens viennent spontanément à nous; il faut aller vers eux. Dans cette optique, nous avons d’ailleurs mis sur pied deux nouveaux programmes éducatifs. En collaboration avec des écoles autochtones situées en région, nous organisons des ateliers faisant aussi appel à la participation des aînés de la communauté. Puis nous offrirons dès l’année prochaine dans des écoles de Montréal une série d’ateliers basés sur des trousses pédagogiques mettant en valeur des objets autochtones et des témoignages de membres des communautés des Premiers Peuples.
Un moment fort qui a suscité en vous une émotion particulière?
Il y en a beaucoup, mais je dirais l’exposition de Kent Monkman, Honte et préjugés : une histoire de résilience, qui portait sur la colonisation et les pensionnats autochtones avec des installations et des tableaux extrêmement troublants et d’une grande tristesse. Ce qui m’a beaucoup émue, c’est de voir les visiteurs prendre conscience, pour la première fois, que ce génocide culturel avait eu lieu au Canada, et se demander ce qu’ils pouvaient faire pour contribuer au processus de réconciliation et pour mettre fin à ce racisme systémique.
Les collections du Musée McCord Stewart sont colossales. Avez-vous un attachement particulier à l’une d’elles?
Le Musée conserve l’un des plus beaux ensembles de collections historiques en Amérique du Nord. Il y a celle des Cultures autochtones, qui me touche particulièrement, sans oublier la collection de Photographies documentaires allant de la fin du 19e siècle jusqu’à aujourd’hui, qui m’éblouit encore chaque jour. Mon plus grand regret est de n’avoir pu découvrir qu’une infime partie de ces collections après avoir passé presque 13 ans à la tête de cette institution. Il faudra que je revienne dans une prochaine vie comme catalogueure ou conservatrice!
Quelle est la ligne directrice du nouveau Plan stratégique? Quelle orientation donne-t-il à l’avenir du Musée?
Ce plan est né après une vaste consultation (plus de 600 personnes) effectuée auprès des différents publics du Musée, de ses employés et des membres de son conseil d’administration pour identifier les problématiques et les initiatives à mettre en place. Parmi les objectifs que nous nous sommes fixés, celui de décoloniser nos pratiques muséales est sans doute le plus important. Il s’inscrit d’ailleurs dans cet autre objectif qui est de devenir une référence en développement durable et en écoresponsabilité dans le milieu muséal. Pour que cette démarche se réalise, il est primordial que nos équipes comprennent ce qu’est la décolonisation et le développement durable. Nous avons donc créé à l’intention de notre personnel un programme de formation continue qui porte sur les enjeux en matière de diversité et d’inclusion et sur le développement durable.
En décolonisant nos pratiques muséales, nous visons aussi à accroître notre achalandage en attirant des publics marginalisés, notamment les communautés racisées, autochtones et LGBTQ2+. Notre objectif est d’établir des relations de confiance avec ces communautés et de faire du Musée un espace sûr (safe space) où elles peuvent s’exprimer et faire entendre leurs voix. Plus qu’un lieu de culture, nous voulons aussi être un agent de changement qui favorise le dialogue et les échanges et qui contribue à renforcer l’engagement de nos visiteurs envers la justice sociale.
Il est question d’agrandir le Musée depuis quelques années. Où en est ce projet?
Nous manquons en effet d’espace pour présenter nos collections; nous n’en exposons que 1 %. Il en va de même pour nos réserves qui sont occupées au maximum de leur capacité et pour nos espaces éducatifs restreints qui limitent notre potentiel d’accueil. Ce projet d’agrandissement nous permettrait de doubler la surface actuelle du Musée et de faire rayonner Montréal à sa juste valeur. J’ai bon espoir que les gouvernements vont en comprendre la nécessité et appuyer ce projet dans les années qui viennent.
Vous siégez aux conseils d’administration de plusieurs organismes et sociétés prestigieuses. Y a-t-il une (autre) vie après le Musée McCord Stewart?
Je n’ai pas encore réfléchi à cela, mais je ne suis pas très inquiète. Je vais bientôt avoir beaucoup de temps pour y penser! Chose certaine, j’aimerais m’engager d’une manière ou d’une autre auprès des communautés autochtones. L’avenir nous le dira.