Never Was Average présente l’art de la conversation
Découvrez comment Never Was Average mise sur le pouvoir de la conversation pour rapprocher les gens de différentes communautés.
17 août 2023
Il y a tant à dire sur la mode, mais lorsque Never Was Average – un groupe se consacrant à la création d’expériences artistiques et culturelles – nous invite à la réflexion, on s’assure d’aller bien au-delà des apparences. Misant sur le pouvoir de la conversation, le duo créatif composé de Joanna Chevalier et Harry Julmice prenait d’assaut le Musée le temps de quelques soirées pour y déconstruire le luxe, le coton, le streetwear ou encore le denim.
Animant ces ateliers-discussions qui s’inscrivent à la fois dans l’art et la médiation culturelle, les membres de Never Was Average ont une manière bien à eux de faire les choses, et dont tout le monde peut bénéficier. Les voici en conversation, cette fois avec Alexis Walker, conservatrice adjointe, Costume, mode et textiles, et Clara Chouinard, chargée de projet à l’Action éducative, citoyenne et culturelle au Musée McCord Stewart, pour témoigner de cette riche collaboration.
On connaît Never Was Average pour ces conversations que vous animez dans différents contextes. Comment est venue l’idée d’en tenir une au Musée McCord Stewart?
Joanna : On nous a approchés pour voir comment on pourrait travailler avec le Musée McCord Stewart, sachant que nous étions intéressés par tout ce qui touche à la photo et à la mode. Notre approche est entièrement basée sur les communautés. On est là pour avoir un échange, utiliser la conversation pour changer les états d’esprit et on se sert de la créativité pour le faire. Notre rôle n’est pas du tout de dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, mais de révéler d’autres possibilités et façons de voir les choses.
Harry : Ce que nous faisons, c’est de créer une nouvelle réalité pour la communauté. Par nouvelle réalité, je veux dire favoriser l’accessibilité à la culture de façon directe, dans les institutions où à la base, ce n’était pas un chemin qui était fluide. Le Musée nous a donné carte blanche. Dans notre démarche, on se demande comment cet établissement crée un environnement positif pour notre communauté et comment en retour la communauté peut tirer parti des ressources de cette institution.
Comment cette approche a-t-elle été reçue au sein du Musée?
Alexis : Aujourd’hui, les musées sont en train de changer. Nous ne pouvons plus nous contenter d’être des piliers de l’autorité, nous devons être davantage axés sur la communauté. L’approche basée sur l’humain est un élément clé dans la manière dont les musées doivent évoluer. L’humain doit être au cœur de ce que l’on fait. Ce que j’aime avec Never Was Average, c’est que Joanna et Harry pratiquent une forme de pensée latérale. C’est vraiment démocratique, on discute. Ce que j’observe dans les discussions, c’est que les gens en savent plus qu’ils ne le croient. J’ai moi-même appris des choses en écoutant les commentaires des gens. J’aime avoir cet espace pour accueillir un autre type d’apprentissage.
Clara : À l’action citoyenne, on réalise des projets en cocréation avec des personnes et des organismes qui sont externes au Musée afin d’élargir les horizons et les points de vue. Le musée du 21e siècle doit se tourner vers l’extérieur pour grandir et demeurer pertinent. La collaboration avec Never Was Average joue un rôle clé dans cette mission. Lorsqu’ils sont sur place, il y a une fusion qui s’opère entre le réseau du Musée et celui de Never Was Average. Ces rencontres remettent en question des choses qu’on dit établies, pour les interroger et les amener plus loin.
Harry : C’est important de mentionner que nous ne venons pas de l’univers des musées. On ne voit pas les choses de la même façon. Notre approche est humaine, elle porte sur les individus.
Ce qu’on cherche à faire, c’est de trouver comment utiliser un établissement afin de créer un environnement positif pour notre communauté. Dans les communautés marginalisées, sous-privilégiées, on a peu d’espaces où l’on peut simplement pratiquer la pensée critique, ausculter, interpréter. C’est difficile de s’y prêter au quotidien car on est constamment en état de veille. Lorsqu’on utilise notre cerveau pour interpréter des œuvres, on l’entraîne à pratiquer la pensée critique. Ensuite, lorsqu’on fait face à des problèmes, on arrive à utiliser la créativité pour générer des solutions.
Comment se déroulent ces rencontres?
Joanna : On choisit un objet de la collection Costume, mode et textiles, et on en discute dans le cadre d’une conversation avec le public. C’est très simple!
Ce projet porte spécifiquement sur la mode : qu’on ait un intérêt ou non pour le sujet, tout le monde peut participer car on en consomme tous d’une certaine façon. Aussi, pour moi qui ai étudié la mode, c’est important d’amener des gens qui s’y intéressent, car ils n’ont peut-être pas accès à ce type de collections.
Les conversations sont toujours agréables. Le public est vraiment diversifié, et les gens contribuent à la conversation. Cet échange permet de voir les choses différemment, c’est ce qui fait la force de ce genre de projet sur le long terme.
Harry : Ce qui me surprend chaque fois, c’est le nombre d’avenues qu’il nous est possible d’emprunter. Au cours de la préparation, le défi pour nous, c’est d’en choisir quelques-unes. Pendant la conversation, les participant·e·s amènent ces points de vue, souvent avant même qu’on les aborde, ce qui démontre qu’on possède souvent l’information, mais qu’elle est disséminée dans nos communautés.
Aussi, les gens sont habitués à ce que l’information soit généralement donnée de manière magistrale – quelques-uns parlent, et les autres écoutent. Le fait qu’on propose quelque chose de complètement différent surprend. On le voit dans le regard des participant·e·s que c’est quelque chose d’unique. J’ai hâte de voir ce qu’on pourra développer par la suite et comment les gens vont y participer.
Clara : Le Musée est le gardien de collections. Si ses collections ne vivent pas à travers les yeux des citoyennes et citoyens, c’est peine perdue – d’où l’idée de les rendre accessibles et qu’elles prennent vie au fil des discussions. Durant la rencontre animée par Never Was Average, on est en mode ouverture, partage et échange, ça nous fait grandir. Il y a une énergie particulière lors de ces soirées. Une belle surprise a été de voir le public qui fréquente régulièrement le Musée interagir avec les autres participant·e·s.
Harry : On est en train de réveiller les esprits. Ça démontre vraiment l’importance de ces espaces. On fait un travail intergénérationnel et un rapprochement entre des gens de différentes communautés qui n’ont pas les mêmes points de vue et compréhensions.
Comment abordez-vous l’aspect historique, qui peut être contentieux? Comment votre approche s’inscrit-elle dans une démarche décoloniale?
Harry : Les musées recèlent une grande partie de l’histoire à travers leurs collections, dont certaines ne sont jamais racontées. Chaque œuvre représente une histoire, on essaie de découvrir celle-ci, de se ramener à ce moment-là, à ce qui s’y passait. On ne peut présenter une pièce magnifique qui date d’un autre siècle sans parler de l’époque à laquelle elle a été conçue – une époque où il n’aurait pas été possible pour une personne noire comme moi de voir une telle pièce. Présenter les objets de cette façon nous fait saisir qu’il y a des choses qu’on sait, mais qu’il y a aussi beaucoup de choses qu’on ne sait pas. On n’essaie pas d’arriver avec des réponses, mais d’avoir une conversation et de poser des questions qu’en temps normal nous n’aurions pas pris le temps de poser.
Joanna : Notre façon de penser est différente. Ce qu’on veut s’assurer de faire, c’est de questionner ce qui est écrit. Qu’est-ce qu’il y a plus loin? Avec Alexis, on a fait des recherches, et on a découvert d’autres histoires ou d’autres faits qui ne sont pas mis de l’avant. Et c’est de ça qu’on veut parler.
Alexis : On est actuellement dans un processus de décolonisation, et on a beaucoup de discussions à l’interne sur le sujet. Mais pour moi, c’est une question personnelle. Chacun doit réfléchir à ce que ça signifie pour soi. Pour moi, il s’agit de considérer différentes choses lorsqu’on regarde les collections, c’est-à-dire de prendre le temps d’observer et de discuter. Par exemple, il faut se demander : qu’est-ce qui n’est pas là? Qu’est-ce qui est caché derrière l’histoire évidente? On cherche les histoires cachées.
Clara : Décoloniser, c’est aussi reconnaître par exemple, que dans le passé, les communautés noires n’avaient pas un accès direct ou facile à un type d’endroit comme le Musée. Il s’agit de l’admettre et de se demander ce qu’on peut faire en tant qu’individu pour ne pas répéter les mêmes erreurs. C’est aussi, pour nous au Musée, d’être à disposition. Si on veut rester pertinents et être un lieu significatif, il faut qu’on soit représentatifs de la population montréalaise. Une façon d’y arriver, c’est de donner accès à nos espaces à celles et ceux qui veulent amener une clientèle diverse au Musée. Voir Never Was Average prendre le Musée d’assaut, ça fait du bien. Il en faut plus. Décoloniser, c’est un beau mot et un beau concept, mais en fin de compte, ça commence par les relations qu’on développe et qu’on entretient.