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Illustration provenant d’un dépliant promotionnel de Little Under by WonderBra (détail), fin des années 1960. Don de la Société en commandite Canadelle, M2012.92.934.46, Musée McCord Stewart

Ravissante, ravissante… Wonderbra

L’histoire de la société Canadelle, le prospère fabricant montréalais de la marque WonderBra, est peu connue, même au Canada. Grâce à l’initiative de Raymonde Tranchemontagne, créatrice de mode pour Canadelle de 1967 à 2012, le Musée McCord Stewart a acquis une vaste collection d’échantillons de sous-vêtements, de catalogues et de pièces éphémères connexes datant des années 1940 au début des années 2000.

Au siège social de l’entreprise à Montréal, les designers de Canadelle avaient conservé un échantillon de presque tous les modèles qu’ils avaient créés, à partir des années 1950. D’une ampleur stylistique inégalée, cette collection témoigne de la fierté des membres de l’équipe de la création pour leur travail, de leur engagement personnel envers la réussite de l’entreprise et de leur désir de transmettre leur savoir aux prochaines générations de designers.

Le premier WonderBra et les débuts de Canadelle

Le premier soutien-gorge WonderBra est une invention américaine, créée par l’entreprise D’Amour Foundations d’Israel Pilot à New York à la fin des années 1930. Celui-ci donne le nom de « Wonder-Bra » à son modèle dont la bretelle est fixée à des bandes diagonales en V, un système qu’il fait breveter. Cette bretelle et la coupe en biais du bonnet offrent aux femmes un vêtement confortable et extensible, malgré le rationnement des matières élastiques à des fins militaires durant la Deuxième Guerre mondiale.

Soutien-gorge, D’Amour, Wonder-Bra, 1940-1945. Don de Larry, Stephanie & Matthew Nadler, M2007.57.2, Musée McCord Stewart

Alors que le modèle de Pilot gagne en popularité, Moses « Moe » Nadler fonde la Canadian Lady Corset Company à Montréal. Fils d’immigrants juifs d’origine roumaine, Moe Nadler naît à Montréal en 1900. Il commence à travailler comme vendeur à l’âge de 11 ans, et deviendra plus tard propriétaire de merceries et d’une entreprise de fabrication de vêtements pour dames. En 1939, convaincu que le marché du soutien-gorge est plus stable que celui des vêtements pour femmes, il décide d’ouvrir un bureau et un atelier de couture à l’angle de l’avenue du Mont-Royal et du boulevard Saint-Laurent.

Nadler signe un contrat de licence avec Pilot lui donnant le droit de fabriquer et de vendre le WonderBra au Canada, et reçoit la permission d’utiliser les bandes diagonales pour d’autres produits. Travaillant dans son petit atelier, il commence à diversifier sa gamme de produits en mettant l’accent sur des sous-vêtements attrayants, fonctionnels et abordables. Les premières années, Nadler travaille lui-même comme vendeur, voyageant partout au Canada avec sa femme, Sari, qui présente les modèles aux acheteurs potentiels.

L’un des premiers soutiens-gorges WonderBra conçus et fabriqués à Montréal est le Petal Burst, un modèle très populaire qui, en 1957, représente 50 % des ventes de soutiens-gorges de l’entreprise. La silhouette très pointue et le rehaussement extrême sont obtenus par des coutures qui rayonnent vers l’extérieur à partir de la pointe du sein, produisant un effet comparable à celui d’autres soutiens-gorges très contraignants de l’époque comme le V-ette Whirlpool du fabricant américain Hollywood-Maxwell.

Canadian Lady Corset Company, Image promotionnelle de Petal Burst provenant du catalogue de prix, 1958. Don de la Société en commandite Canadelle, M2012.92.934.3, Musée McCord Stewart

Moe Nadler s’éteint en 1964, 25 ans après avoir fondé son entreprise, et c’est son fils Larry Nadler, titulaire d’un MBA de Harvard, qui hérite de la société. Larry, qui deviendra président et chef de la direction, s’ouvre aux nouvelles technologies, met en place des stratégies de marketing novatrices et fait entrer l’entreprise dans son âge d’or. En 1968, la Canadian Lady prend le nom de Canadelle Inc.

Les années 1960 et l’évolution de l’identité féminine

Durant les années 1960, un vent de changement secoue l’industrie du sous-vêtement sous l’influence de la mode jeunesse, des bouleversements sociaux et de l‘arrivée sur le marché de nouvelles fibres synthétiques comme l’élasthanne. Le grand nombre d’adolescentes devenues adultes dans les années 1960 en fait un segment très influent de la société, poussant les fabricants à commercialiser des soutiens-gorges créés pour les adolescentes.

Le soutien-gorge Petal Teen de WonderBra figure pour la première fois dans les catalogues de l’entreprise en 1965. Offrant un aspect plus naturel que les silhouettes pointues et contraignantes des années 1950, il comprend à la fois de confortables bretelles extensibles en élasthanne et une bande élastique sous la poitrine.

Les mouvements féministes de la deuxième vague de la décennie créent une onde de choc parmi les fabricants de sous-vêtements qui craignent que les femmes délaissent complètement leurs vêtements de dessous, en particulier les soutiens-gorges. Incapables de comprendre l’évolution de l’identité féminine des années 1960, un grand nombre d’entreprises doivent déclarer faillite durant cette période tumultueuse.

Larry Nadler, quant à lui, réagit à la situation avec pragmatisme en organisant des groupes de discussion avec des jeunes femmes pour savoir ce qu’elles pensent de leurs soutiens-gorges. Au milieu de la révolution sexuelle de la décennie, Nadler réalise que les jeunes femmes n’aiment pas ce qu’elles perçoivent comme les soutiens-gorges oppressifs, rigides et démodés des années 1950, alors que de jolis et élégants soutiens-gorges leur permettent de se sentir attirantes et désirables.

Le Dreamlift 1300, premier soutien-gorge rehausseur de conception canadienne

Sans doute le plus iconique des soutiens-gorges créés par Canadelle, et le premier modèle de style rehausseur de fabrication canadienne, le Dreamlift 1300, lancé sur le marché en 1966, a été conçu dans un esprit de séduction. La construction de ce modèle très technique, créé par Louise Poirier, nécessitait plus de 50 pièces de patron.

Ce même modèle rehausseur fera l’objet d’un repositionnement de marque et fera sensation au début des années 1990 tant au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, grâce à des contrats de licence internationaux (et à la campagne publicitaire « Hello Boys » mettant en vedette la mannequin Eva Herzigova).

Soutien-gorge, Canadian Lady Corset Company-Canadelle, WonderBra Dreamlift 1300, 1965-1969. Don de Sari A. Nadler, M2007.54.3, Musée McCord Stewart

Wonderbare, ou le mouvement pour un soutien-gorge moins contraignant

En parlant aux jeunes femmes dans les groupes de discussion organisés par Canadelle, Nadler en arrive à une autre importante conclusion, à savoir que « …le mouvement anti-soutien-gorge allait se manifester essentiellement comme un mouvement en faveur d’un soutien-gorge moins contraignant ». Les jeunes femmes veulent des sous-vêtements légers et confortables, qui créent une silhouette naturelle et donnent une impression de nudité.

L’entreprise répond à cette tendance en créant la ligne Wonderbare, vendue pour la première fois en 1966 et présentée comme « The Ultimate in Bare Underfashion » (Le nec plus ultra de la lingerie minimaliste). Le Wonderbare s’inscrit dans la lignée des autres vêtements légers des années 1960 comme le No Bra for Exquisite Form de Rudi Gernreich, mais il est offert dans une plus grande variété de soutiens, de tailles et de styles. Bien que le Wonderbare ait été créé en tenant compte de la diversité corporelle, la palette très restreinte de blanc, de noir et d’un rose pâle « ton de chair » démontre que dans la dénomination des couleurs à cette époque, la blancheur est considérée comme la norme.

À compter de la fin des années 1960, outre le Wonderbare, Canadelle commercialise d’autres marques sous des noms comme The Little Under et Like Nothing On. Ces soutiens-gorges légers, d’une construction très simple, sont fabriqués dans des tissus synthétiques extensibles, mais ce sont tous des vêtements coupés-cousus.

Publicité pour Wonderbare, livret de prix WonderBra, New Styles, Automne 1965. Don de la Société en commandite Canadelle, M2012.92.934.15, Musée McCord Stewart
Illustration provenant d’un dépliant promotionnel de Little Under by WonderBra (détail), fin des années 1960. Don de la Société en commandite Canadelle, M2012.92.934.46, Musée McCord Stewart

Le moulage des tissus et la marque Dici

Des entreprises internationales novatrices avaient déjà commencé à explorer des façons de rendre le soutien-gorge encore plus discret, dont le moulage à chaud des tissus synthétiques permettant de créer un bonnet sans aucune couture11. La société française Huit 8, fondée en 1968, sera la première à commercialiser et en vendre des soutiens-gorges moulés au début des années 1970.

Les soutiens-gorges Huit sont très élégants, mais selon Larry Nadler, leur ajustement est inadéquat et irrégulier, et leur prix élevé. Malgré ces inconvénients, ils sont populaires au Canada, surtout au Québec, et Larry Nadler se rend en France au début des années 1970 pour signer un contrat de licence avec Huit. Il essuie malheureusement un refus, mais, comme le rappelle Nadler, ce qu’il a appris sur le moulage « … en une heure dans leurs bureaux a justifié tout le voyage ».

Vers 1972, Nadler met sur pied deux groupes de travail au siège social de Canadelle à Montréal : un dédié à la mise en marché d’une nouvelle marque de lingerie pour jeunes femmes, et une équipe technique appelée à mettre au point un procédé de moulage des tissus hautement sophistiqué. Regroupant du personnel de tous les services, l’équipe technique travaille en collaboration avec des gens de l’extérieur, soit des spécialistes en textiles, des chimistes, de même qu’un sculpteur qui crée des seins en métal qui serviront de moules. Après de nombreux essais, l’équipe réussit, et Canadelle devient un véritable expert du moulage de tissus de grande qualité. Détenant un brevet pour l’appareil de moulage à chaud conçu par Canadelle, Nadler en viendra à octroyer de lucratives licences pour la technologie à l’échelle internationale.

Secondé par le groupe de travail en mise en marché, Nadler découvre que les jeunes femmes n’aiment pas le nom de WonderBra qu’elles associent à des femmes plus âgées. IEn 1974, Canadelle lance sur le marché ses soutiens-gorges à bonnets moulés sans coutures commercialisés sous la marque Dici, ciblant principalement une jeune clientèle. Un nouveau slogan, « Dici ou rien », est créé pour la marque avec un motif de colombe mettant l’accent sur la fraîcheur, la légèreté et la liberté.

Les soutiens-gorges sont vendus dans des boîtes en forme de dé, dans lesquelles de petits trous ont été percés pour permettre aux clientes de voir le produit et de le toucher.

Publicité Dici du catalogue WonderBra publié en 1976. Don de la Société en commandite Canadelle, M2012.92.934.1, Musée McCord Stewart

Les soutiens-gorges sont offerts dans des couleurs comme le rose, le jaune et le bleu, certains modèles étant fabriqués dans une délicate dentelle extensible à motif floral. Cependant, la teinte de beige appelée « ton de chair » fait toujours fi d’une plus grande diversification de la clientèle.

Soutien-gorge (détail), Canadian Lady-Canadelle Inc., Dici 9, vers 1975. Don de Société en commandite Canadelle, M2012.92.487.1-3, Musée McCord Stewart

C’est en grande partie grâce au Dici, un énorme succès pour Canadelle, que le chiffre d’affaires de l’entreprise a pratiquement doublé entre 1970 et 1976.

De Canadelle à HanesBrands

En 1979, Canadelle détient environ 30 % du marché canadien du soutien-gorge. La même année, l’entreprise américaine HanesBrands Inc. fait l’acquisition de la société. Larry Nadler prend sa retraite en 1980, mettant ainsi fin à 41 ans de propriété ou de gestion canadienne.

En 2014, HanesBrands centralise certains secteurs de son organisation, et déménage le siège social de l’entreprise à Winston-Salem, en Caroline du Nord. Un bureau de vente et un centre de distribution restent ouverts à Montréal (auxquels s’ajoute un bureau de vente à Toronto) et sont encore en activité de nos jours.

HanesBrands fabrique toujours le WonderBra, et la philosophie de Moe Nadler derrière la fondation de la marque, soit d’offrir aux femmes un produit élégant, fonctionnel et abordable, perdure depuis 85 ans.

Sources sélectionnées

« Diagonal Slash Feature of Brassiere’s Design », Style, 20 juillet 1964, p. 37.

« “Mo” Nadler Dies After Long Illness », Style, 1er mars 1965, p. 55.

Alan D. Gray, « Bra makers back from the brink: Innovation, technology boost Canadelle », Financial Times of Canada, 3 septembre 1979, p. 10.

Interview accordée par Larry Nadler (ancien président et chef de la direction de Canadelle), à l’autrice, 18 novembre 2015.

Interview accordée par Raymonde Tranchemontagne (auparavant créatrice de mode pour Canadelle) à l’autrice, 8 décembre 2015.