© Katy Lemay, 2022

Strictement personnel

Interdit à la vente : la vie privée au studio Notman ou comment contrôler son image au 19e siècle (partie 3/6).

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Katy Lemay, illustratrice

28 juin 2022

Deux portraits de modèles masculins datant de 1884 semblent indiquer qu’il existait différentes stratégies pour qui désirait limiter les images à un usage privé. M. Downie s’est présenté au studio Notman comme le parfait dandy victorien. Le Registre de photos contient un portrait de face et un de profil de celui-ci arborant une spectaculaire moustache en guidon, vêtu d’un costume des Highlands. Étrangement, le négatif de l’image de profil a été acheté, vraisemblablement par Downie lui-même, ce qui signifie qu’aucun autre tirage de cette image ne pouvait être acheté.

William Notman, M. Downie, Montréal, 1884. II-72126.1, Musée McCord
Restriction : Neg Sold

VENDRE LE NÉGATIF

S’il existe dans les registres de Notman d’autres exemples de négatifs ayant été vendus, il s’agissait assurément d’une pratique peu courante. Comme les négatifs à cette époque étaient en verre, il était toujours risqué de les transporter et de les entreposer, sans compter l’équipement, les produits chimiques et le savoir-faire requis pour produire un tirage. La plupart du temps, les négatifs étaient achetés pour être détruits ou simplement pour empêcher la production d’autres tirages.

Vous avez manqué le début de cette série ?
Voici le premier article Bienvenue au studio

Qu’est-ce qui a pu motiver Downie ou la personne ayant commandé son portrait à verser la somme supplémentaire pour se procurer le négatif, sans imposer de restriction sur la vente de tirages de son portrait de face? Peut-être était-ce le désir de Downie de posséder une image à contempler en privé ou pour les yeux de l’être aimé, une image qui ne se retrouverait jamais dans ses albums de famille ni dans les collections de ses amis et de ses compagnons d’armes.

COPIE EXCLUSIVE

Comparativement à l’aspect théâtral de la photographie de M. Downie posant dans une tenue élaborée, le portrait ovale d’un homme plus âgé, chauve et barbu, est plutôt guindé. Celui-ci porte une écharpe en bandoulière ainsi qu’une chemise à col blanc et une cravate en soie sous son pardessus.

William Notman, Portrait d’un inconnu, copie pour Mme Strothers, 1884. II-74327.0.1, Musée McCord
Restriction : Not to be Sold without Mrs. Strothers permission

Visuellement, ce petit portrait est peut-être moins spectaculaire que celui de Downie, mais il avait manifestement une signification spéciale pour une certaine Mme Strothers. Après avoir apporté l’image à Notman pour en commander une reproduction, elle a laissé des instructions interdisant d’en vendre une copie à quiconque sans son consentement.

À en juger par le soulignement du mot « permission » dans le Registre de photos, le personnel de Notman devait suivre ses instructions à la lettre. La photographie et les directives qui l’accompagnent suggèrent à la fois le désir profond de posséder une photographie privée, et l’impossibilité d’en garantir totalement la confidentialité.

Après tout, la commande de Mme Strothers nous rappelle que n’importe qui possédant une photographie pouvait en faire faire des copies, et que d’en commander une au studio Notman signifiait nécessairement que la transaction allait être enregistrée et que la photographie allait passer par de nombreuses mains, générant possiblement d’autres copies. Produire des copies photographiques constituait un volet si lucratif de leurs affaires que la plupart des studios commerciaux en faisaient mention dans leurs publicités.

La série Interdit à la vente : la vie privée au studio Notman est financée en partie par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

À propos des auteures et de l'illustratrice

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Sarah Parsons est professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Elle a rédigé plusieurs textes sur Notman, dont William Notman : sa vie et son œuvre (Institut de l’art canadien, 2014) et « Le studio Notman comme lieu de performance » dans Notman, photographe visionnaire (Musée McCord, 2016), publié sous la direction d’Hélène Samson et de Suzanne Sauvage. Cette série d’articles fait partie de Feeling Exposed: Photography, Privacy, and Visibility in Nineteenth Century North America, un projet pluriannuel financé en partie par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Sarah Parsons est professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Elle a rédigé plusieurs textes sur Notman, dont William Notman : sa vie et son œuvre (Institut de l’art canadien, 2014) et « Le studio Notman comme lieu de performance » dans Notman, photographe visionnaire (Musée McCord, 2016), publié sous la direction d’Hélène Samson et de Suzanne Sauvage. Cette série d’articles fait partie de Feeling Exposed: Photography, Privacy, and Visibility in Nineteenth Century North America, un projet pluriannuel financé en partie par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas vient de terminer un doctorat au Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Sa recherche porte sur la culture visuelle et matérielle du Canada au dix-neuvième siècle, et sa thèse de doctorat est une étude approfondie des broderies florales qui ornent trois courtepointes canadiennes historiques. Elle a obtenu une bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand Bombardier, ainsi qu’une bourse Isabel Bader en recherche et restauration de textiles à l’Agnes Etherington Art Centre en 2019.
Vanessa Nicholas vient de terminer un doctorat au Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Sa recherche porte sur la culture visuelle et matérielle du Canada au dix-neuvième siècle, et sa thèse de doctorat est une étude approfondie des broderies florales qui ornent trois courtepointes canadiennes historiques. Elle a obtenu une bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand Bombardier, ainsi qu’une bourse Isabel Bader en recherche et restauration de textiles à l’Agnes Etherington Art Centre en 2019.
Katy Lemay, illustratrice

Katy Lemay, illustratrice

Katy Lemay se passionne pour les arts visuels depuis plusieurs décennies. Son diplôme en design graphique de l’Université du Québec à Montréal lui a donné les outils nécessaires pour devenir une illustratrice grandement respectée. Si elle puise son inspiration dans des magazines et des photographies rétro pour réaliser ses collages complexes, les mots sont également pour elle une source d’idées intarissable.
Katy Lemay se passionne pour les arts visuels depuis plusieurs décennies. Son diplôme en design graphique de l’Université du Québec à Montréal lui a donné les outils nécessaires pour devenir une illustratrice grandement respectée. Si elle puise son inspiration dans des magazines et des photographies rétro pour réaliser ses collages complexes, les mots sont également pour elle une source d’idées intarissable.