© Jean-Manuel Nadeau, 2021

Le projet UMITEMIEU : hologrammes et collections nomades

Les artisans du projet UMITEMIEU nous parlent de cette initiative où traditions autochtones riment avec réalité virtuelle.

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

31 mars 2022

Autour d’une grande table au cinquième étage du Musée McCord, je retrouve Emilio Wawatie, Stéphane Nepton et Leila Afriat, qui ont tous les trois travaillé à la création du projet UMITEMIEU.

Ce projet destiné aux Autochtones du Québec facilite l’accessibilité aux objets des collections autochtones du Musée McCord et du Musée huron-wendat. Réalisé en partenariat avec UHU Labos nomades et l’Université Concordia, il permet aux jeunes en communautés d’interagir avec des objets culturels et identitaires et de développer des contenus novateurs à l’aide d’outils numériques.

Au cœur d’UMITEMIEU se trouve le désir d’accroître la littératie numérique des jeunes et de stimuler le partage des savoirs et des connaissances entre les générations.

Pouvez-vous vous présenter?

Emilio : Je m’appelle Emilio Wawatie et je suis Anishnabe du Lac-Barrière. J’ai été élevé dans la culture anishnabe, dans le parc de La Vérendrye. Mon expérience dans la forêt avec les aînés a donc été fondatrice dans ma compréhension des cultures autochtones.

Je travaille sur le projet UMITEMIEU après avoir été sélectionné pour un stage créé par l’Université Concordia. J’ai immédiatement adoré l’idée de collaborer avec le Musée McCord et d’avoir la chance d’étudier les objets de ses collections. Aussi, la possibilité de revitaliser notre culture grâce à la technologie m’a inspiré. Mon rôle dans le projet a été de faire de la recherche à propos des objets qui se trouvent dans la collection éducative du Musée et de documenter les ateliers organisés dans les communautés participantes. J’ai beaucoup appris!

Roger Aziz, 2022 © Musée McCord

Stéphane : J’ai travaillé 23 ans dans l’industrie du jeu vidéo comme artiste en effets spéciaux. Maintenant, je m’occupe à temps plein avec ma partenaire Andrea Gonzalez d’UHU Labos nomades, notre initiative sur les arts numériques destinée aux jeunes Autochtones. La transmission intergénérationnelle, la force communautaire et la bienveillance sont les objectifs de nos ateliers avec les jeunes visant à soutenir la persévérance scolaire et la santé culturelle. UHU Labos nomades collabore à différents projets, mais notre bébé, c’est vraiment UMITEMIEU.

Au sein du projet UMITEMIEU, je me suis occupé de la recherche et du développement, ainsi que du déploiement des ateliers, tout en participant à la conception des différents médias visuels.

Roger Aziz, 2022 © Musée McCord

Leila : Je suis chargée de projet en action éducative, culturelle et citoyenne au Musée McCord. Dans le cadre du projet UMITEMIEU, j’ai agi comme agente de liaison entre nos différents partenaires, les écoles et les membres des communautés. Sur le terrain, je secondais Stéphane dans l’animation des ateliers. C’est une initiative où nous avons tous mis la main à la pâte à presque toutes les étapes. Je pense que la force de notre projet est l’esprit de collaboration qui nous a animés du début à la fin.

Roger Aziz, 2022 © Musée McCord

C'est quoi, pour vous, le projet UMITEMIEU?

Stéphane : L’idée, c’était vraiment que les jeunes des communautés autochtones participantes créent leur propre musée, une sorte de collection culturelle virtuelle. Ils sont amenés à faire une séance de photogrammétrie d’un objet physique où, à l’aide de l’intelligence artificielle, une copie virtuelle de l’objet est créée. Par la suite, cet objet est importé dans un logiciel de réalité augmentée pour produire un hologramme culturel. On obtient ainsi un musée virtuel nomade, fait par les membres de la communauté, pour les membres de la communauté, qui inclut jeunes et aînés.

© Jean-Manuel Nadeau, 2021
© Jean-Manuel Nadeau, 2021
© Jean-Manuel Nadeau, 2021
© Jean-Manuel Nadeau, 2021
© Jean-Manuel Nadeau, 2021
© Jean-Manuel Nadeau, 2021
© Jean-Manuel Nadeau, 2021
© Jean-Manuel Nadeau, 2021

Leila : Et ces collections virtuelles restent dans les communautés, qui décident elles-mêmes de l’usage qu’elles veulent en faire. Se sont joints à nous en cours de route des dizaines de collaborateurs, comme le Musée huron-wendat, l’Institut Tshakapesh et l’Administration régionale Kativik, dans plusieurs communautés à travers le Québec. C’est une initiative qui a beaucoup évolué et je pense que sa mobilité, le fait qu’elle peut s’adapter aux besoins des communautés, est l’un de ses plus grands atouts.

De UHU Labos nomades, comment en arrive-t-on à collaborer avec une institution au passé colonial comme le Musée McCord?

Stéphane : La collaboration avec le Musée McCord s’est établie au départ par l’entremise de Geneviève Sioui, coordinatrice à l’engagement communautaire autochtone à l’Université Concordia. La symbiose entre nos intentions et nos valeurs s’est tout de suite révélée – on savait dès cet instant que ce projet allait être unique.

La décolonisation de l’espace numérique doit passer impérativement par les membres des Premières Nations. Décoloniser veut dire s’imposer, créer, diffuser, valoriser et protéger notre culture et patrimoine numérique. Il est important que cette nouvelle littératie numérique soit enseignée, expérimentée et maîtrisée pour l’avenir de nos jeunes et de nos communautés. Le pouvoir et la résurgence résident dans la protection et la création de nos propres données.

Leila : Quand je suis arrivée au Musée McCord, je voulais faire un projet où on pourrait sortir les objets de la collection Cultures autochtones pour les apporter dans les communautés par le biais du numérique. C’est lorsque nous avons découvert UHU Labos nomades et pris contact avec Stéphane que nous avons réalisé que la collaboration était vraiment idéale. Ça s’inscrit très bien dans la volonté du Musée de créer plus de liens avec les communautés et de décoloniser ses pratiques.

Pourriez-vous, justement, parler du rôle des communautés dans le projet?

Leila : La place des communautés est centrale, car tout ça se fait grâce à elles et nous ne sommes finalement qu’une courroie de transmission. Ce sont les membres des communautés qui choisissent dans la collection du Musée les objets qui proviennent de leur nation et qu’ils aimeraient voir numériser. L’objectif, c’est de créer une collection qui est le fruit d’une rencontre entre des objets qui viennent de la communauté et des objets de la collection éducative et de la collection Cultures autochtones du Musée.

Ce sont également les communautés qui vont décider comment impliquer les jeunes et comment présenter cette collection virtuelle. À Wendake, par exemple, ils ont mobilisé pour ce faire deux porteurs culturels, les chefs du Conseil de bande et les aînés de la communauté, et l’école est en voie de transformer la bibliothèque en un musée sur l’histoire des Wendat. Les objets numériques que les jeunes ont créés lors du passage d’UMITEMIEU seront intégrés à leur projet de classe-musée.

Stéphane : Tous ces gens participent ainsi à un acte de fierté culturelle commune. La fierté culturelle de la communauté, d’une part, et la fierté individuelle des élèves qui, lors de plusieurs ateliers, ont participé de manière très concrète à la construction de cette collection tout en ayant acquis une nouvelle littératie numérique.

© Jean-Manuel Nadeau, 2021

Parlez-nous de la relation entre le numérique et la tradition autochtone

Emilio : Quand on numérise un objet, même si l’objet physique venait à disparaître, la copie virtuelle permettrait d’en préserver la forme et la technique de fabrication. Nous pourrions, à partir des fichiers numériques, créer une copie physique de l’objet. Ainsi, l’objet et sa mémoire sont sauvegardés.

Les Hurons-Wendat, par exemple, ont beaucoup de chansons qui ont été ramenées à la vie grâce à des enregistrements qui ont été faits au début du siècle dernier. Ces chansons ont été enregistrées sur des cylindres de cire grâce auxquels on voit aujourd’hui des traditions renaître. Avec UMITEMIEU, on remplace en quelque sorte les cylindres de cire par des outils numériques!

© Jean-Manuel Nadeau, 2021

Stéphane : Cet atelier est un prétexte à la transmission intergénérationnelle. Le vecteur numérique reste un moyen très attirant pour les jeunes de valoriser ou de se réapproprier leur culture, mais de façon atypique et novatrice.

Pour vous donner un exemple concret, Emilio et moi sommes différents en ce que lui, il a appris dans sa communauté à fabriquer des canots d’écorce avant même d’apprendre à en faire une version numérique, alors que pour moi, c’est le contraire. J’ai appris à faire un canot numérique avant d’apprendre à en faire un en écorce! Cela invite naturellement au partage de nos acquis respectifs au sein de l’équipe : nous favorisons ce transfert d’expériences personnelles et de savoirs autochtones, ancestraux et numériques.

Il faut assurer une pérennité numérique tout en protégeant nos savoirs ancestraux. Nos aînés ne sont pas éternels et pour préserver notre culture et nos mémoires collectives, on doit miser impérativement sur nos jeunes pour prendre la relève. Pourquoi ne pas développer davantage des compétences numériques qui sont propres à chaque nation, dans le respect de chaque communauté?

© Jean-Manuel Nadeau, 2021

Comment envisagez-vous l'avenir pour vous et pour le projet?

Leila : Nous avons bâti des liens avec des collaborateurs qui sont là pour rester. Il y a une pérennisation des liens et surtout une mise à disposition des ressources du Musée. Notre souhait est de mener le projet dans chacune des 11 nations au Québec.

Emilio : En entrant dans ce projet, j’avais l’étincelle, l’inspiration d’aller vers les membres des autres communautés. C’est ce qui m’a mis en mouvement. L’idée de continuer de travailler dans le milieu muséal m’intéresse, mais j’ai surtout envie de créer de mes mains! Découvrir toutes ces choses sur les cultures autochtones, c’est pour moi personnel, culturel et éducatif.

Stéphane : Personnellement, j’ai une volonté de me réapproprier ma culture tout en partageant mon savoir avec les jeunes des communautés. Également, avec UHU Labos nomades, nous voulons transmettre nos connaissances dans le cadre d’ateliers d’arts numériques dans les 11 nations autochtones au Québec, et pourquoi pas implanter cet atelier dans des communautés autochtones à l’extérieur du pays? Beaucoup de leurs enjeux culturels, environnementaux, sociaux et linguistiques sont similaires à ceux des communautés au Québec.


Geneviève Sioui, coordinatrice à l’engagement communautaire autochtone à l’Université Concordia, qui a aussi participé à la mise sur pied du projet, était absente au moment de l’entrevue. Son rôle dans UMITEMIEU est de conseiller l’équipe à propos de l’aspect partenarial de l’initiative. Elle a également encadré l’embauche et l’apprentissage d’Emilio. Enfin, elle offre un soutien logistique lors des ateliers en communautés.

Pour en savoir plus, consultez l’article Le Bureau de l’engagement communautaire de Concordia participe à une initiative conjointe dans des établissements scolaires autochtones disponible sur le site de l’Université Concordia.

Le projet UMITEMIEU est réalisé grâce au soutien financier du gouvernement du Québec.

À propos de l'auteur

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.
Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.