Collier de wampum, 18e siècle. Don de David Ross McCord, M1913, Musée McCord Stewart

L’usage des colliers de wampum par les Européens

Voyez comment les Européens adoptent les pratiques entourant l’échange et la gestion des wampums et contribuent ainsi à transformer l’objet.

Fabriquées à partir de coquillages marins des côtes atlantiques, les perles de wampum blanches et pourpres sont des biens d’échange importants dans la traite des fourrures, qui connaît une grande expansion au début du 17e siècle en Amérique du Nord-Est. Elles servent également de monnaie dans les colonies hollandaises et britanniques jusque dans les années 1660.

Les peuples iroquoiens de l’intérieur des terres utilisent quant à eux les wampums dans le cadre de leurs relations diplomatiques avec les nations voisines. Les perles sont alors tissées en des cordons et colliers de diverses tailles pouvant contenir de quelques centaines à plus de dix mille perles, qui sont ensuite offerts lors de rencontres diplomatiques pour soutenir un discours, le rendant alors légitime et officiel.

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Comme les wampums sont utilisés pour matérialiser les paroles prononcées et sceller les alliances, certains sont conservés sur de longues périodes afin que les messages qu’ils portent soient transmis. À cette fin, le gardien des wampums s’assure que leur signification soit répétée périodiquement devant la communauté afin qu’elle apprenne et se souvienne des conditions des ententes passées et des engagements mutuels.

Adoption

La pratique de l’échange de colliers de wampum diplomatiques est si bien implantée en Amérique du Nord-Est au 17e siècle que les Européens sont parfaitement familiers avec les usages de l’objet, et reconnaissent son utilité et sa pertinence pour valider certaines interprétations des événements passés :

[Les Autochtones] se ressouviennent de si loin que lorsque nos Gouverneurs, ou leurs substitus tiennent Conseil avec eux pour des affaires de Guerre, de Paix ou de Commerce, & qu’ils leurs proposent des choses contraires à ce qu’on leur à proposé il y a trente ou quarante ans, ils répondent que les François se dementent, qu’ils changent de sentiment à toute heure, qu’il y a tant d’années qu’ils leur ont dit ceci & cela ; & pour mieux asseurer leur réponse ils font apporter les Coliers de Porcelaines qu’on leur a donné dans ce tems-là.1

Dans leurs nombreuses et constantes relations diplomatiques avec les nations autochtones alliées, les peuples français et britannique utilisent eux aussi abondamment les wampums dans différents contextes : pour appuyer leurs paroles, pour lancer une invitation, pour sceller les conditions d’une entente ou pour rappeler les engagements réciproques. Le 13 juillet 1743, par exemple, alors qu’il reçoit un collier de wampum de la part des Chouannons, le gouverneur Beauharnois leur répond de la façon suivante :

Je vais le conserver et il passera à ceux qui me succèderont afin que vous puissiez toujours réclamer les bontés de votre père. […] Je vous donne ce collier, conservez-le dans vos villages et que tous vos descendants sachent que c’est le nœud qui vous lie à moi.2

Les nombreux wampums reçus par les Français sont entreposés dans les « magasins du Roi » à Québec ou à Montréal. Les perles servant à la fabrication des wampums sont aussi conservées dans ces entrepôts, après avoir été la plupart du temps acquises par l’entremise de marchands qui les vendent par milliers. Les listes et inventaires de la marchandise stockée dans ces magasins dénombrent en effet des dizaines de milliers de perles de wampum, inventoriées selon leur couleur – blanche ou « noire » – ainsi que leur valeur monétaire.

Pour les autorités coloniales, ce matériau devient rapidement très dispendieux, mais il demeure néanmoins essentiel pour entretenir l’énorme réseau diplomatique dont profite la Nouvelle-France : sans alliances avec les nations autochtones sur le territoire, la présence française demeure bien fragile. Les Français étant situés bien loin des côtes atlantiques où se trouve la matière première pour fabriquer les perles de wampum, certains tentent d’en fabriquer à partir d’autres matériaux comme l’ivoire ou le marbre. Évidemment, personne n’est assez dupe pour accepter de contrefaçon!

Adaptation

Alors que le monde de l’oralité des Autochtones rencontre celui de l’écriture, des changements s’opèrent dans le mode de gestion de ces objets diplomatiques, situés à l’intersection de diverses cultures.

En consultant la correspondance coloniale, on réalise que les Européens s’adaptent aux traditions autochtones, notamment en y incorporant l’usage de l’écriture. Ainsi, ils veillent à ce que chaque parole prononcée par leurs interlocuteurs autochtones soit non seulement transcrite au fur et à mesure dans un registre, mais qu’elle soit aussi numérotée pour être associée au wampum reçu à la même occasion. Le wampum est quant à lui étiqueté pour être retrouvé aisément, et surtout mis en relation avec son message initial. De plus, dans le même objectif d’identification, et pour éviter de perdre la trace et la signification des objets échangés, les wampums qui circulent lors des conseils sont souvent décrits dans les procès-verbaux, voire dessinés.

Transformation

Si les Européens modifient quelque peu les pratiques entourant l’échange et la gestion des wampums, ils transforment aussi l’objet en y incorporant des chiffres et des lettres. Les premiers à procéder de la sorte sont les Jésuites qui, entre 1654 et 1716, contribuent à produire une dizaine de wampums comportant des écritures latines. De leur côté, les Britanniques paraphent et datent les wampums qu’ils offrent pour identifier leur provenance et le moment de leur échange. Ainsi, le , sir William Johnson, offre à ses alliés autochtones un collier comportant ses initiales « W. J. » ainsi que la date 1756, alors que son successeur, Guy Johnson, remet plusieurs wampums avec les lettres « G. J. » en 1780.3

La pratique de consigner par écrit les paroles gêne parfois les Autochtones, qui considèrent que l’écriture peut réduire considérablement les conditions d’une relation. Pour ces peuples de tradition orale, toute entente issue de négociations est considérée comme active, vivante et renouvelée périodiquement. Écrire les paroles contribue à les rendre indépendantes, permettant ainsi leur réutilisation ultérieure en l’absence de représentants et de porte-parole. En d’autres occasions toutefois, ce sont les Autochtones eux-mêmes qui demandent que leurs paroles soient transcrites, alors que dans d’autres situations, ils conserveront eux aussi les copies manuscrites de leurs transactions avec les Européens.

La diplomatie étant le lieu du métissage et de l’interculturalité, chaque partie s’adapte à son destinataire afin de mieux communiquer. Si les Européens s’adaptent aux traditions des nations autochtones, ces dernières adoptent elles aussi certaines procédures européennes, s’appropriant des éléments culturels d’autrui pour se placer à son niveau sur le plan politique.

En savoir plus

Beaulieu, Alain et Réal Ouellet, Lahontan : Œuvres complètes, vol. I, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1990 (1702).

Becker, Marshall Joseph et Jonathan Lainey, « Wampum Belts with Initials and/or Dates as Design Elements: A Preliminary Review of One Subcategory of Political Belts », American Indian Culture and Research Journal, vol. 28, no 2, 2004, p. 25-45.

Bibliothèque et Archives Canada, MG1-C11A, Archives des colonies, correspondance générale, Canada.

Lainey, Jonathan, La « monnaie des Sauvages ». Les colliers de wampum d’hier à aujourd’hui. Québec, Septentrion, 2004.

Lainey, Jonathan, « Les colliers de porcelaine de l’époque coloniale à aujourd’hui », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 35, no 2, 2005, p. 61-73.

Notes

  1. Lahontan, Louis Armand de Lom d’Arce, baron de, Œuvres complètes, vol. I, p. 649-650.
  2. « Réponse de Beauharnois aux paroles des Chaouanons », 13 juillet 1743, Bibliothèque et Archives Canada, MG1-C11A, vol. 79, fol. 102.
  3. Lainey, 2004 : 71-80; Becker et Lainey, 2004; Lainey, 2005 : 64-65.